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Entretien avec Claudine Nougaret ingénieure du son, Vice-Présidente de la Commission Supérieure Technique de l’Image et du Son (CST), productrice et réalisatrice.

Rencontrer Claudine Nougaret c’est tout d’abord se retrouver face à une grande professionnelle du cinéma qui a été l’une des toutes premières femmes ingénieure du son, mais c’est aussi avoir le plaisir de côtoyer une personnalité passionnée par son travail, et d’une grande humanité.

Depuis trente-trois ans elle forme un duo professionnel avec le photographe et cinéaste Raymond Depardon : elle réalise le son et lui l’image. À eux deux ils cumulent de nombreuses récompenses pour leurs films décernées par les plus grands festivals de cinéma, et les institutions les plus prestigieuses leurs consacrent des rétrospectives et des expositions.

En 2020, la Bibliothèque nationale de France (BnF) a rendu hommage au travail de Claudine Nougaret avec l’exposition « Dégager l’écoute ». C’est pour nous l’occasion d’en savoir plus sur son parcours.

Nous signalons à nos lecteurs que toutes les photos de cet entretien nous ont été données à titre gracieux et avec l’aimable autorisation de Raymond Depardon, que nous remercions.

 

Qu’est-ce qui vous a amenée de la musicologie, à la prise de son ?

 Après un bref passage en musicologie à la faculté de lettres d’Aix en Provence, je suis venue à Paris pour apprendre le métier d’ingénieur du son : « restituer les sons de la vie » est devenu ma vocation et ma passion. J’ai enchainé les petits boulots notamment au cinéma La Pagode, j’ai été ouvreuse, caissière puis projectionniste. J’ai suivi les cours du soir section Son à l’école Louis Lumière. Toute habitée par ma passion je cumulais mes cours avec des tournages de courts métrages de L’Institut des hautes études cinématographiques (L’IDHEC) et du Groupe de recherches et d’essais cinématographiques (GREC), et le temps passant mon oreille s’est ouverte au son direct.

 

Comment avez-vous débuté dans ce milieu du son ? Et en quoi le film « Le Rayon vert » d’Éric Rohmer, Lion d’or à la Mostra du cinéma de Venise en 1986, a changé votre parcours professionnel ?

 A vingt-trois ans, je suis devenue stagiaire son sur le film de Alain Resnais : La vie est un roman.

Ce fut formidable de commencer ce métier sur le plateau d’un grand metteur en scène toujours en recherche et si attentif aux autres.

A partir de ce film, je suis devenue une des premières femmes perchman et tout s’est enchainé rapidement. Rétrospectivement je reconnais que ce ne fut pas facile, l’ambiance sur les plateaux était généralement graveleuse avec des équipes composées exclusivement d’hommes, à l’exception de la script, de la maquilleuse et de l’habilleuse. J’ai dû faire face à du harcèlement et à des violences verbales. A l’adolescence j’avais accompagné le mouvement des féministes autonomes de Montpellier et participé à des cours d’autodéfense avec une base de karaté qui m’ont permis de mieux pouvoir appréhender l’espace sur un plateau bondé.

Généralement les techniciens voyaient d’un mauvais œil l’arrivée des femmes dans leurs métiers et quand Eric Rohmer m’a proposé de faire le son de son film, j’ai reçu des menaces de ne plus jamais travailler dans ce métier de la part d’ingénieurs du son, jaloux et inquiets de leur possible perte d’influence.

Le Rayon vert est un film fabriqué uniquement par des femmes à tous les postes techniques, il est le seul film de Rohmer qui soit entièrement improvisé. C’est toujours une joie de rencontrer le bonheur des spectateurs qui le découvrent et le soutiennent. Le succès de ce film m’a ouvert la porte des réalisateurs dits « Cahiers du cinéma » compatibles : Serge Le Péron, Alain Bergala Philippe Garrel et Raymond Depardon.

 

Quelle est la particularité de faire du son pour des images ?

 Enregistrer du son pour une image qui sera agrandie à l’échelle de la salle de cinéma nécessite de créer les conditions pour dégager l’écoute du spectateur, pour qu’il ait pleinement confiance en ce qu’il entend et ce qu’il voit.

En cinéma la pratique se concentre d’abord sur la restitution des voix des personnes filmées puis dans un souci de naturalisme le décor sonore reprend sa place.

Contrairement à l’enregistrement de la musique, le son au cinéma se pratique majoritairement en fiction et en documentaire dans un environnement naturel, l’ingénieur du son doit aussi composer avec toutes les contingences. Le son direct demande de la patience et des réflexes qui viennent de l’expérience.

 

En 1987 vous rencontrez Raymond Depardon sur un film et depuis vous ne vous êtes plus quittés. Il dit que grâce à vous, il a repris sa place, celle de l’œil, car ensemble vous avez trouvé un bon équilibre entre entendre et regarder. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

Dans les films Faits divers et Reporters Raymond Depardon était tout seul avec une caméra équipée d’un micro et il était obligé de s’approcher pour capter la parole et enchainait les séquences en plans trop serrés à son goût … Avec un ingénieur du son Raymond Depardon n’a plus été obligé de s’approcher pour entendre, et depuis 1987, sur tous nos films, Raymond Depardon s’occupe de l’image et je m’occupe du son.

Notre premier film ensemble Urgences à l’hôpital de l’Hôtel Dieu à Paris était le voyage de noces très original de deux passionnés de cinéma.

Avec ce film nous avons défini la base de notre couple de cinéma : la recherche d’une exigence, esthétique, politique et technique.     

                

Claudine Nougaret 1987 ©Raymond Depardon

      

Combien de films avez-vous réalisés ensemble avec Raymond Depardon ? Quels sont ceux qui vous ont le plus marquée professionnellement ?

Depuis 1987 nous avons réalisé ensemble 13 longs métrages et 22 courts métrages. Trois films sont très importants pour moi : La captive du désert tourné pendant trois mois dans le silence du Ténéré au cœur d’une région soumise aujourd’hui à la terreur des conflits au Niger ; La vie moderne aboutissement de dix années de tournage à deux dans des petites exploitations agricoles françaises, et un film rétrospectif Journal de France.

 

              

 

Comment travaillez-vous ? Le dispositif technique de prise de son peut-il influer sur le comportement des personnes filmées ? Comment faites-vous pour « acquérir la confiance » des personnes filmées, pour « garder la bonne distance », préoccupations que vous-même et Raymond Depardon exprimez ?

En documentaire on ne recommence jamais la prise, nous sommes rapides et précis dès la mise en route.

Toute personne filmée est incommodée par l’équipe technique donc nous essayons d’être le plus discret possible sans renoncer à la performance des outils.

Savoir écouter, attendre, ne pas bouger, ne jamais interrompre, c’est notre force.

 

Palais de justice de Paris, photogramme du film 10ème chambre,

instants d’audience 2004 ©Raymond Depardon

 

Pour quelles raisons avez-vous créé la société de production Palmeraie et désert ?

 En 1992 avec Raymond Depardon nous avons créé notre société de production « Palmeraie et désert » pour être maîtres du choix de nos aventures cinématographiques.

Le premier film produit fut Afriques comment ça va avec la douleur, un film de 2h45, un long voyage de cinq ans à travers le continent Africain.

Avec notre structure nous sommes libres de décider, comme cette année, de produire le premier film Riposte Féministe qui nous engage auprès des jeunes femmes militantes contre les violences faites aux femmes.

 

Comment est née l’idée de l’exposition à la Bibliothèque nationale de France (BnF), et que signifie son titre « Dégager l’écoute » ?

A la sortie du film Les habitants j’ai accepté la proposition de deux sociolinguistes proches de la BnF qui souhaitaient travailler sur l’évolution de la parole des Français à travers nos films.

Suite à leur initiative nous avons tout naturellement déposé toutes nos archives au département audiovisuel de la BnF.

L’exposition à la BnF et le livre « Dégager l’écoute » sont nés de cette rencontre, et cela nous a donné l’opportunité de mettre en lumière ce métier méconnu d’ingénieur du son au cinéma, en exposant notre matériel et notre méthode.

 

   ©Raymond Depardon                                                                                                             ©Raymond Depardon                                                              ©Raymond Depardon

 

Quels conseils pourriez-vous donner à des jeunes femmes qui souhaiteraient faire le métier d’ingénieure du son ?

 Soyez fières de faire ce métier, prenez la parole, ne vous laissez pas influencer par ceux qui n’écoutent pas et qui veulent toujours avoir raison et vous rabaisser.

Soyez en accord avec vous-même et chérissez les films que vous aimez depuis longtemps, et vous finirez par travailler avec les équipes qui les ont faits.

Battez-vous pour installer la parité, un autre cinéma est possible.

De mon côté pour favoriser la mixité et la visibilité des femmes dans les métiers du cinéma, j’ai initié la création d’un prix de la Commission Supérieure Technique de l’Image et du Son (CST) pour les jeunes femmes techniciennes françaises cheffes de poste de moins de trente-cinq ans, qui seront présentes dans les équipes en séléction officielle au festival de Cannes 2021 (le Festival se tiendra du 6 au 17 juillet 2021) . 

Rendez-vous cet été ! 

 

Claudine Nougaret, photogramme du film
Journal de France 2012 ©Raymond Depardon
 

     

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