Entretien avec Evelyne Dress, réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe
Evelyne Dress est une femme aux multiples talents et une artiste complète : comédienne, scénariste, réalisatrice, productrice, peintre, c’est également une auteure qui a publié à ce jour cinq romans : «La maison de Petichet», «Les tournesols de Jérusalem», «Le rendez-vous de Rangoon», «Les chemins de Garwolin», et le dernier en date «Pas d’Amour sans Amour». Elle nous raconte son parcours artistique, ses rencontres, ses projets.
Comment avez-vous débuté votre incroyable parcours artistique?
Je suis la fille d’un tailleur sur mesure à Paris, terriblement éloigné de la vie artistique, sinon qu’il était le tailleur attitré de Joseph Bouglione. Les paillettes du cirque m’ont, sans doute, fait fantasmer.
Mon frère avait un camarade de guitare qui tentait le concours du Centre d’art dramatique de la rue Blanche à Paris. Je lui ai confié mes aspirations. Il m’a conseillé de me présenter au concours : «Tu ne seras pas reçue, mais tu sauras comment ça marche» et il m’a indiqué deux scènes à apprendre par cœur dans : «Les caprices de Marianne» d’Alfred de Musset, et «Le jeu de l’amour et du hasard» de Marivaux. J’ai été reçue du premier coup, lui, recalé.
J’ai quitté l’école de sténodactylo où mon père m’avait inscrite pour que je devienne secrétaire «un bon métier», et j’ai intégré la classe de Robert Manuel au Centre de la rue Blanche. J’y suis restée trois ans, et j’y ai tout appris, pas seulement à dire des textes, mais, aussi, et surtout, à vivre au milieu des comédiens. L’apprentissage fut difficile, car je n’étais pas armée, trop timide, cependant j’ai commencé à travailler dès ma sortie du Centre. J’appartiens à une «bonne cuvée» : Coline Serreau, Evelyne Buyle, Francis Huster, Jacques Weber…
Vous avez collaboré avec des réalisateurs et des partenaires importants, que ce soit au cinéma, au théâtre et à la télévision. Quels sont ceux qui vous ont particulièrement marquée?
Du côté des réalisateurs, j’ai beaucoup aimé travailler avec Ettore Scola, bien sûr, mais aussi avec Roger Andrieux, Pierre Barouh, Rachel Weinberg, Patrick Schulmann, Edouard Molinaro, Michel Deville, Michel Audiard et beaucoup d’autres aussi illustres, mais je cite ceux qui m’ont marquée pour leur gentillesse, le regard qu’ils ont porté sur moi.
L’expérience m’a appris que, souvent, les réalisateurs ne savent pas comment manipuler cette matière vivante et mystérieuse que sont les comédiens.
En ce qui concerne les acteurs, je citerai en premier lieu des hommes qui m’ont impressionnée par leur talent, leur générosité et leur grandeur d’âme : Jean-Paul Belmondo et Michel Piccoli.
Mais j’ai travaillé avec beaucoup d’autres acteurs. Dans le désordre : Bernard Giraudeau, Eddy Mitchell, Jacques Villeret, Bernard Blier, Jean-François Stévenin, Richard Berry, Philippe Léotard, Jean-Claude Brialy, Laurent Terzieff, Jean-Louis Barrault, Heintz Bennent. Je les ai tous appréciés pour des raisons différentes.
Mais je veux surtout remercier les acteurs qui m’ont accordé leur confiance en acceptant de tourner dans Pas d’amour sans amour, le film que j’ai réalisé : Patrick Chesnais, Gérard Darmon, Martin Lamotte, Michel Duchaussoy, Jean-Luc Bideau, Jacques Penot, Thierry Rey…
Quant aux actrices, je citerai une femme que j’admire et avec laquelle j’ai tourné trois films, il s’agit de Lea Massari qui s’est retirée du métier il y a de nombreuses années, pour se consacrer à la cause animale et à l’écologie. J’ai aussi adoré Annie Girardot, une actrice et une femme merveilleuse, blessée, dans laquelle je me reconnaissais. Souvent, les actrices font la «Une» des magazines lorsqu’elles décèdent! Il est alors trop tard pour regretter leur présence sur les écrans.
Je citerai aussi les actrices qui m’ont donné la réplique, avec beaucoup de générosité, dans mon film Pas d’amour sans amour : Aurore Clément, Dora Doll, Pascale Rocard, Valérie Steffen, Cécile Pallas, Tanya Lopert, Coralie Seyrig…Le tournage de mon film a été un moment de vrai bonheur pour tout le monde, aussi bien pour les acteurs, les techniciens, que moi-même!
Au théâtre, j’ai eu la chance de jouer avec de grands acteurs comme Claude Dauphin.
À la télévision, j’ai été très heureuse de présenter plusieurs émissions de variétés aux côtés de Guy Lux, Yves Mourousi, Jean-Pierre Cassel. Je jouais, je chantais, je dansais…
Pourquoi avoir décidé de devenir réalisatrice et productrice?
Je n’ai pas décidé, je n’ai pas eu le choix!
En 1987, après une expérience éprouvante de co-animatrice d’une émission de la nuit sur Antenne 2 «Entrez sans frapper», j’ai décidé de prendre une année sabbatique.
J’ai découvert alors que j’étais capable de peindre. Pendant deux ans je me suis consacrée à la peinture, et ce, avec succès, car j’ai obtenu différents prix, et mes toiles ont été exposées deux fois au Grand Palais à Paris.
Pendant cette période, j’ai lu un livre qui m’a bouleversée : «Le Boucher» d’Alina Reyes, paru au Seuil. Ce petit livre qui racontait les fantasmes sexuels d’un boucher pour sa caissière était, en fait, un grand texte sur la vie et la mort, la chair et la chair.
Il m’est apparu que je devais dire ces mots à voix haute.
En 1990, la pièce «Les monologues du vagin» n’avait pas encore été montée et, donc, je n’ai pas trouvé de producteur pour m’accompagner dans cette aventure théâtrale «osée». J’ai dû créer ma compagnie pour monter ce spectacle. Je l’ai joué au Bataclan à la rentrée 90 avec le comédien Rufus dans le rôle du boucher. C’est le spectacle qui a fait courir «Le tout Paris». Le soir de la Générale, le Bataclan ne pouvait contenir tous les spectateurs qui s’étaient déplacés pour le voir.
Le montage financier de ce spectacle a été si difficile que la nuit, j’écrivais le scénario de mon film Pas d’amour sans amour. Je voulais parler de la génération qui a lutté pour son indépendance sexuelle, sociale, intellectuelle et qui se retrouve vingt ans plus tard à se dire «Bon, et alors, qu’est-ce qu’on a?». Eva, l’héroïne de mon film, n’a pas fait l’amour depuis trois ans, parce que trois ans auparavant, elle était amoureuse d’un homme qui l’a quittée. Elle a mis tout ce temps-là à s’en remettre.
Elle va voir son gynécologue qui lui dit : «Vous vous débrouillez comme vous voulez, mais il faut réactiver!». Alors, elle sort dans la rue, regarde tous les hommes qui passent et se dit : «Ça ne va pas être de la tarte». Le film commençait chez le gynécologue, les pieds dans les étriers. Une fois de plus, je n’ai pas trouvé de producteur pour m’accompagner dans cette aventure cinématographique «décoiffante». Alors j’ai créé ma société de production S.E.D pour pouvoir produire mon film que j’ai également distribué!
Le film est sorti dans peu de salles, mais il a quand même réalisé 153.828 entrées, a été primé dans des festivals, sélectionné aux Golden Globes en 1994, et lorsqu’il est passé sur France 2, il a totalisé 7.129.080 téléspectateurs, face au football sur TF1, PSG-Guingamp qui n’a rassemblé que 5.837.580 de téléspectateurs.
France 2 m’a racheté le film, dès le lendemain, pour un deuxième passage. Ce qui a sauvé ma société de production qui avait pris tous les risques pour le produire.
J’aurais dû pouvoir continuer sur ma lancée et refaire facilement un film derrière, mais ce ne fut pas le cas…
J’ai actuellement plusieurs scénarios prêts à être tournés, notamment, l’adaptation de deux de mes livres «La maison de Petichet», et «Le rendez-vous de Rangoon».
Avis aux producteurs!
Quelles sont vos sources d’inspiration en tant que peintre?
C’est une pulsion de survie qui m’a fait peindre, pour me réparer de mon expérience d’animatrice à la télévision. J’ai eu besoin de me peindre et de me dépeindre, de me mettre à nu, de me présenter sans artifice, avec mes blessures. J’ai donc fait beaucoup d’autoportraits. Mais j’ai aussi peint des religieuses qui me ressemblent; elles traduisent mon goût de la solitude et la dualité qui m’habite et traverse également mon travail d’écriture : ma judaïté et mon imprégnation de la culture française, catholique.
Ma peinture et mes romans m’aident à descendre mon petit escalier intérieur, en bas duquel j’espère trouver la réponse à la grande question du sens de l’existence.
Portant mon regard en moi-même, je crois avoir une vue claire du monde.
Comment êtes-vous venue à l’écriture?
Ça s’est fait naturellement. J’ai d’abord découvert le rythme, grâce au trapèze que je pratiquais en salle. Je faisais du ballant, c’est-à-dire du trapèze volant. Il faut se lancer dans le vide dans le bon rythme, sinon, on tombe.
C’est ainsi que j’ai compris qu’en peinture, il fallait respecter ce rythme : lorsque je pose une couleur sur ma toile, elle doit trouver sa réponse, ailleurs, sur la toile.
Pour l’écriture, c’est la même chose : lorsque j’écris une séquence ou un chapitre, ils doivent trouver leur réponse dans le scénario ou dans le livre, selon une certaine cadence.
Lorsque mon film Pas d’amour sans amour a été terminé, j’ai eu la chance qu’Olivier Orban, qui dirigeait la maison d’édition Plon, le voie et l’aime et me demande d’en écrire le roman. Moi, je ne connaissais rien à l’écriture romanesque, j’avais été, étant petite, l’écrivain public de la famille et de ma grand-mère hongroise en particulier, donc, je savais écrire des lettres, mais pour le reste…
L’écriture de ce premier roman a été une révélation. J’ai eu envie de continuer et j’ai proposé à Olivier Orban plusieurs sujets qui me trottaient dans la tête. Mes trois premiers romans sont donc sortis chez Plon et comme ils ont été des succès, ils sont ensuite parus en poche, chez Pocket. C’est donc comme cela que ça a commencé.
Je suis un écrivain voyageur qui accompagne ses héroïnes à travers le monde. J’aime mieux tourner autour de leur/mon nombril dans des pays exotiques qui ont eux-mêmes une Histoire : politique, religieuse, culturelle. Je pars toujours seule et je me mets dans des situations extrêmes pour vivre des choses inattendues, m’engageant corps et âme dans la quête de leur vérité qui est aussi la mienne.
Je procède toujours de la même manière : lorsque j’ai l’idée d’un roman, j’écris un synopsis, je connais le début et la fin de mon histoire, mais entre temps, je ne sais pas ce qu’il se passe, alors je me mets dans la peau de mes héroïnes et je vais vivre leur vie dans le pays que je leur ai choisi.
Mes livres se lisent par strates : on peut se contenter de suivre mes héroïnes dans leurs pérégrinations, mais au-delà de leurs aventures, on peut trouver matière à réfléchir.
Trois thèmes traversent mes romans en dehors du thème de la solitude : c’est quoi être juif? Le destin, la recherche de sa moitié d’âme.
Vous êtes aussi une véritable globe-trotter pour répondre aux nombreuses sollicitations des libraires, salons et festivals littéraires. Que vous apporte la rencontre avec votre public?
Je crois que je fais la tournée des libraires et des salons, comme une comédienne en tournée théâtrale ou en promotion d’un film. Je vais au-devant du public avec bonheur et le public le sent, et il vient vers moi avec enthousiasme. Je fais aussi un travail de fond, car mon image de comédienne est encore très forte – je suis entrée chez les gens à travers le petit écran pendant vingt ans – et je dois, maintenant, faire admettre que je ne suis plus seulement comédienne.
Comment faites-vous pour mener de front toutes ces activités artistiques auxquelles viennent s’ajouter vos engagements professionnels auprès de l’ARP (Association des auteurs, réalisateurs, producteurs) et du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée)?
Je fais beaucoup de choses en même temps, c’est vrai, car j’ai la chance de n’avoir pas besoin de beaucoup de sommeil. Mon plaisir du matin, c’est de me lever, avant le soleil, et de prendre mon café devant mon ordinateur.
Par ailleurs, mon hémisphère gauche, siège du langage, de la logique, du raisonnement, travaille autant que mon hémisphère droit, siège de l’instinct, des émotions et autres intuitions…Mais de toutes façons, ceux qui connaissent mon travail savent qu’il n’y a que le support qui change et qu’en vérité, ce sont toujours les mêmes grands thèmes que j’aborde au travers de toutes mes entreprises.
Quant à mon engagement envers la profession du cinéma dans le cadre d’associations professionnelles et d’institutions, c’est pour moi indispensable d’apporter cette contribution.
Créatrice née, quels sont les domaines que vous aimeriez encore aborder ou révéler à votre public?
Je suis très sollicitée pour remonter sur scène et faire un tour de chant. J’ai déjà le titre du spectacle «Et, maintenant, elle chante!». De quoi faire parler dans les chaumières… Mais je dois, d’abord, terminer mes écritures en cours.
Quels sont vos projets en cours?
Un roman qui se passe très loin, au bout du monde, où rares sont ceux qui s’y sont aventurés, j’y suis déjà allée en repérages. Mais il va falloir un peu de patience, car je n’en suis qu’au premier tiers, et j’écris lentement.
Entre-temps, je dois remettre pour le 31 octobre un petit livre aux éditions Magellan dans le cadre d’une collection qui s’appelle «Pour l’amour de…» et qui sortira au mois de mars 2020.
Un grand merci pour m’avoir accordé cette tribune!