Entretien avec Philippe Bélaval, Directeur général de l’Opéra de Paris, Directeur général de la Bibliothèque nationale de France, Directeur général des Patrimoines et depuis 2012 Président du Centre des Monuments Nationaux … par Milvia Pandiani-Lacombe
Le parcours professionnel de Philippe Bélaval est caractérisé par son engagement indiscutable en faveur de la Culture. Il a en effet exercé des fonctions importantes au sein même du ministère de la Culture et à la tête d’établissements placés sous son autorité.
Il a été notamment Directeur général de l’Opéra de Paris, Directeur général de la Bibliothèque nationale de France, Directeur général des Patrimoines, et depuis 2012, Philippe Bélaval préside le Centre des monuments nationaux (CMN).
Quelles sont les missions du Centre des monuments nationaux que vous présidez?
Le Centre des monuments nationaux a été créé en 1914 pour gérer les monuments historiques appartenant à l’Etat qui sont ouverts au public. Il assure la conservation et l’entretien de ces monuments, leur mise en valeur au travers d’une politique de partenariats culturels et touristiques. En outre, il abrite une maison d’édition, les Éditions du Patrimoine. En 2018, il a accueilli plus de 10 millions de visiteurs.
La France possède un patrimoine exceptionnel, combien de monuments sont placés sous la responsabilité du CMN et quels sont les plus emblématiques?
Aujourd’hui un peu plus de cent monuments. Les plus célèbres sont l’Arc de Triomphe, le Panthéon ou l’abbaye du Mont Saint Michel. Ce qui est remarquable, c’est qu’ils représentent toutes les époques, depuis les grottes ornées de la vallée de la Vézère (sites préhistoriques exceptionnels, dont la grotte de Lascaux) ou les mégalithes de Carnac en Bretagne, jusqu’aux villas modernistes construites par Le Corbusier ou Mallet-Stevens au XXe siècle! Ils sont en outre situés dans la quasi-totalité des régions de France, à l’exception regrettable de la Corse et de l’Outre-Mer : à ce point près, ils sont vraiment représentatifs de l’histoire et de la culture de notre pays.
La Panthéonisation de personnalités est un moment important dans l’histoire de la Nation française. Quel est le rôle du CMN dans ce processus?
La décision de faire entrer une personnalité au Panthéon appartient, sous la Ve République, au Président de la République. Le Centre des monuments nationaux est chargé, sous l’autorité du ministre de la culture, de l’organisation de la cérémonie. C’est une opération complexe, mettant en jeu de nombreuses compétences. L’essentiel est de traduire la solennité de l’hommage tout en sachant exprimer une certaine proximité entre la personnalité honorée et le public.
La ferveur dont a été entourée l’entrée au Panthéon de Simone Veil, en juillet dernier, me semble avoir su préserver cet équilibre.
Quelles sont les monuments qui ont fait l’objet d’interventions particulières du CMN?
Nous nous attachons à réaliser périodiquement de grandes opérations de restauration et d’enrichissement du parcours de visite des monuments du réseau. Depuis l’ouverture en 2015 de la Villa Cavrois à Croix (dont l’architecte est Robert Mallet-Stevens), deux monuments ont bénéficié de deux grands chantiers de ce type : le château d’Azay-le-Rideau, dans le Val de Loire, et le château du philosophe Voltaire à Ferney, près de la Suisse. Aujourd’hui, nous sommes engagés dans deux opérations de restauration très lourdes : l’une concerne l’Hôtel de la Marine, situé place de la Concorde en plein cœur de Paris, et sera achevée au printemps 2020, et l’autre, le château de Villers-Cotterêts résidence de François 1er en Picardie, qui devrait ouvrir en 2022.
Mais si elles sont très visibles, ces grandes opérations ne constituent en fait qu’une partie somme toute réduite de notre activité de maîtrise d’ouvrage : chaque année, nous réalisons plus de 200 opérations, de dimension très variable : ouverture à la visite de nouveaux espaces, aménagements de sécurité, de confort des visiteurs ou de nos équipes, modernisation de librairies-boutiques …
La France et l’Italie possèdent un patrimoine exceptionnel, y-a-t-il des collaborations entre les institutions de nos deux pays?
Insuffisamment à mes yeux, du fait de différences dans l’organisation institutionnelle des deux pays en matière de patrimoine. Mais vous avez raison de souligner la richesse patrimoniale de la France et de l’Italie : peu de pays peuvent, selon moi, revendiquer une telle densité de monuments si exceptionnels que depuis plusieurs siècles, ils exercent une influence considérable sur la formation des idées et du goût comme sur la création artistique. Cela devrait constituer le ciment d’une union très forte entre les deux peuples.
Vous avez remis récemment au Président de la République votre rapport sur le Patrimoine. Quelles sont vos principales préconisations?
L’année 2018 a été marquée par le grand retour de la politique patrimoniale au premier plan du débat culturel en France. Des initiatives, comme la création d’un loto du patrimoine, sont venues donner de nouvelles preuves de l’attachement des Français au patrimoine, comme le montre chaque année le succès des Journées européennes du Patrimoine.
Le Président de la République s’est inquiété, à fort juste titre, de savoir si l’action, en matière de patrimoine, de l’Etat, des collectivités et établissements publics et des acteurs privés est organisée, coordonnée, de manière optimale pour répondre à cet attachement. D’autant que des tensions apparaissent à intervalles réguliers entre le souci de préserver le patrimoine et celui de satisfaire les besoins économiques et sociaux de nos contemporains. Je lui ai proposé de procéder à une clarification des enjeux du patrimoine dans le monde du début du XXIe siècle et de donner au ministère de la culture les outils lui permettant d’être le grand chef d’orchestre de la politique patrimoniale dans ce pays. Un chef d’orchestre qui ne se substitue pas aux divers instrumentistes, publics ou privés, mais qui veille à l’harmonie de l’ensemble!
Avez-vous des échéances et actions particulières à venir?
J’ai mentionné quelques-uns des grands chantiers en cours : ils constituent évidemment autant de priorités pour mon action. Mais il ne faut pas perdre de vue que les enjeux de patrimoine sont des enjeux de temps long : nous avons hérité de ceux qui nous ont précédé une richesse considérable et nous devons la transmettre à ceux qui viendront après nous. Dans un établissement comme le Centre des monuments nationaux, cette exigence du temps long sous-tend en permanence le travail quotidien, sans que nous en prenions nous-mêmes toujours garde. Au fond, nous travaillons pour d’autres que nous, et cela dépasse bien des contingences …