Entretien avec Rosalie Varda, directrice artistique, productrice, sur l’œuvre de sa mère, la cinéaste, photographe, plasticienne, Agnès Varda. Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe.
La Cinémathèque française rend hommage du 11 octobre 2023 au 28 janvier 2024, à la cinéaste, photographe, plasticienne Agnès Varda, qui nous a quittés en mars 2019, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, avec une magnifique exposition « VIVA VARDA ! » et l’édition d’un formidable catalogue, publié aux Éditions de La Martinière.
À cette occasion, sa fille Rosalie Varda, nous a fait l’amitié d’accorder cet entretien à l’Alliance Française de Trieste pour évoquer l’œuvre, la personnalité d’Agnès Varda, et nous confier des souvenirs et anecdotes personnels.
En quoi consiste l’exposition « VIVA VARDA ! » qui se tient à la Cinémathèque française ?
L’exposition rétrospective d’Agnès Varda c’est l’idée de montrer un parcours riche d’une femme qui a traversé le siècle, les technologies. Agnès Varda a commencé sa pratique photographique avec une chambre noire, puis un Rolleifleix et ensuite un Leica, en 1954 elle aborde le cinéma en 35mm argentique avec son premier film La pointe Courte et sur tous les formats (courts, longs-métrages, fictions, documentaires…) ce qui n’est pas le cas de tous les réalisateurs. Elle a abordé le numérique au tournant des années 2000 où elle s’est réinventée avec le film Les Glaneurs et la Glaneuse et en 2003 avec les nouvelles formes de partage et de narration que sont les Arts plastiques avec des installations vidéo, et en 2006 avec sa première exposition L’ile et Elle à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Cette nouvelle exposition VIVA VARDA ! est un parcours qui forge la curiosité, et qui montre sa modernité dans la recherche d’un mode de narration adapté à chaque histoire.
Elle disait « Je ne choisis jamais une seule version des choses. Il me semble injuste de montrer tant de soleil et de couleur sans aussitôt montrer les ombres mauves et les visages d’une foule anonyme ».
On prend le spectateur par la main et on l’emmène dans le laboratoire photo d’Agnès Varda dans les années 50 où elle a été portraitiste, grand reporter. On connait mal la partie de sa vie au cours de cette période où elle a travaillé pour des journaux de qualité notamment pour la revue Réalités, qui n’existe plus de nos jours. Cette revue commandait des textes à des auteurs et des reportages photos à des photographes.
Comme on connait mal le fait que pendant plusieurs années elle a été la photographe officielle du TNP (Théâtre National Populaire) dirigé par jean Vilar. Il a eu une réelle influence sur Agnès Varda, il a structuré sa vie intellectuellement parce que c’était un homme rigoureux, un intellectuel de
gauche qui croyait en la collectivité, au théâtre populaire. Avec le TNP il a innové en instaurant le théâtre à 19h avec des billets à bas prix afin de l’ouvrir au plus grand nombre, et d’avoir une troupe avec des grands comédiens comme Gérard Philippe payés comme les autres.
Dans le parcours d’Agnès Varda son histoire d’amour avec Valentine Schlegel a été importante car cette dernière était radicale, artiste, céramiste, sculptrice, elle sera la directrice artistique sur le film La Pointe courte en 1954 et sur certains autres courts métrages.
Une autre personnalité a beaucoup compté, c’est Alain Resnais avec lequel elle a eu une relation amoureuse. Il lui a fait connaître le Groupe de la Rive Gauche avec Chris Marker, Armand Gatti, William Klein, différent du Groupe de la Rive Droite composé des réalisateurs de la Nouvelle Vague, Rohmer, Chabrol, Rivette, Truffaut et Godard.
Cette exposition met aussi en valeur la fantaisie d’Agnès Varda que l’on a tendance à voir comme une vieille dame rigolote, rondouillarde. Quand en 1958 elle fait un court métrage Du côté de la côte ou celui Ô saisons, ô châteaux, ils reflètent cette fantaisie qu’Agnès Varda a en elle.
Cette exposition est également structurée autour de grands thèmes : Cinécriture (néologisme utilisé par Agnès Varda pour expliquer son travail de cinéaste auteure), les grands personnages féminins comme celui de Cléo (incarné par Corinne Marchand) dans Cléo de 5 à 7 qui d’un seul coup va arracher sa perruque et recommencer à regarder le monde, s’émanciper, et redevenir la femme face à une réponse médicale qu’elle attend : savoir si elle a un cancer ou non ! Le personnage de Mona (Sandrine Bonnaire) dans Sans toit ni loi en révolte contre elle-même, contre la société, elle en mourra….
Agnès Varda a beaucoup voyagé dans les années 60 dans les pays socialistes notamment en Chine, à Cuba, où elle assiste aux effets de la révolution cubaine, à la libération du peuple et à l’économie partagée. Elle fait une beau portait de Fidel Castro avec des ailes de pierre ! Les ailes de l’utopie de
la Révolución.
Et c’est dans cette période qu’elle réalise le film Le Bonheur au scénario très cruel sur l’amour, la fidélité, l’infidélité. L’histoire d’un homme (Jean-Claude Drouot) qui aime deux femmes en même temps et qui ne se sent pas coupable. Agnès Varda ne porte pas de jugement moral.
VIVA VARDA ! c’est aussi un focus sur sa carrière incroyablement moderne. Elle passe deux années aux USA avec Jacques Demy où elle retrouve son oncle Yanco peintre hippie vivant sur un bateau, fait des photos des manifestations contre la guerre du Vietnam, réalise un court métrage sur les Black Panthers, qui reste de nos jours un document exceptionnel.
Elle est ancrée dans la société, le réel, bien présente là où elle est quel que soit l’endroit, et elle regarde, contrairement à certains artistes qui ne sont que dans leur monde.
À la fin de sa vie le public, les personnes, les anonymes, les cinéphiles venaient lui parler et la remerciaient pour son humanité « Merci pour ce que vous êtes ». Elle a toujours eu un rapport bienveillant et généreux avec les jeunes générations.
Un volet de cette exposition montre la reconnaissance, avec ses engagements féministes importants exprimés dans le court métrage Réponses de femmes et dans le film L’une chante et l’autre pas (1976). Jacques Demy était également féministe, les personnages féminins dans ses films ne sont jamais des victimes malgré des situations difficiles. Le couple Varda-Demy s’est engagé pour la libération sexuelle, le droit à la conception, à l’avortement.
La dernière partie de l’exposition c’est la reconnaissance d’Agnès Varda dans les années 60-70 où elle était très présente dans les magazines comme Vogue, Harper’s Bazaar. Elle s’est prêtée au jeu des interviews, des photos.
Enfin c’est aussi la reconnaissance de la profession car Agnès Varda est la seule réalisatrice au monde à recevoir les trois plus grandes distinctions du cinéma avec : un César d’honneur, une Palme d’Or d’honneur et un Oscar d’honneur.
L’exposition VIVA VARDA ! se termine avec une installation multi écrans – un diaporama vidéo qui reprend des interviews où elle est percutante, drôle, où l’on voit ses amitiés avec Delphine Seyrig, Chantal Akerman et comment elle a influencé les jeunes générations de réalisatrices comme Rebecca Zlotowski, Céline Sciamma,Ava DuVernay et d’autres.
Elle a toujours conseillé aux femmes de ne pas se laisser enfermer, d’apprendre des métiers techniques du cinéma : directeur photo, ingénieur du son …
Cette exposition met en évidence l’engagement d’une femme dans des valeurs humanistes, paritaires, artistiques, qui a défendu son point de vue et montré que l’on pouvait avoir à la foi une vie de famille, des enfants et un métier.
Dans la préface du catalogue de l’exposition avec mon frère Mathieu Demy nous avons présenté ainsi cette exposition : « On a beaucoup parlé des trois vies d’Agnès : celles de photographe, de cinéaste, et de la plasticienne. La grande exposition à la Cinémathèque française, c’est sa quatrième vie : celle de la trace qu’elle a laissée de son parcours si singulier. Cette trace qui continue d’inspirer les cinéphiles, les curieux, les amoureux et les étudiants du monde entier. »
Comment Agnès Varda passe-t-elle de la photographie au cinéma et devient la pionnière de la nouvelle vague ?
Agnès Varda décide de se mettre à réaliser car l’image fixe ne lui suffisait plus. Le cinéma ajoute à la photo la dimension du temps et met des paroles sur les images.
Et pourtant à cette époque elle avait vu très peu de films car elle venait du milieu du théâtre. Elle était imprégnée de peinture, de poésie, de littérature. Cependant étant photographe elle avait une grande expérience du cadre et du placement de la caméra.
Dès son premier film La Pointe courte en 1954 avec Philippe Noiret et Silvia Monfort qui forment un couple en crise qui se questionne sur l’Amour sur fond du travail des pêcheurs, on voit son intérêt pour les anonymes, le documentaire. C’est un premier film assez radical, pas à « l’eau de
rose » tourné en extérieur.
Agnès Varda disait : « En 1954, j’étais photographe au TNP et je connaissais peu le cinéma. Il me semblait alors que beaucoup de « révolutions littéraires » n’avaient pas leur équivalent à l’écran.
Aussi me suis-je inspirée, pour mes recherches, de Faulkner, de Brecht, essayant de briser la construction du récit, de trouver un ton à la fois objectif et subjectif, de laisser au spectateur sa liberté de jugement et de participation. »
Ce film à sa sortie a été salué par le critique André Bazin (l’un des fondateurs des Cahiers du cinéma) comme « libre et pur ». Ce film, le plus innovant de l’après-guerre, se démarque audacieusement de la production « qualité française » au point d’en préfigurer certains concepts de la Nouvelle vague. À signaler que François Truffaut n’a pas vraiment compris ce film. Le milieu du cinéma était alors assez misogyne et n’était pas prêt à accepter des femmes réalisatrices.
Tournage de La pointe courte (1954)
Avec « La Pointe Courte », son premier long-métrage en 1954, « Cléo de 5 à 7 », « Sans toit ni loi », « Les Glaneurs et la Glaneuse », « Jacquot de Nantes », « Les plages d’Agnès », « Visages, Villages »… L’œuvre cinématographique d’Agnès Varda est constituée d’une quarantaine de
longs et courts métrages, de documentaires qui s’alternent, se chevauchent parfois dans le temps, était-ce pour répondre à son besoin vital, impérieux, de toujours expérimenter, de filmer ?
Ma mère était tout le temps en train de filmer, comme elle écrivait tous les jours sur des carnets, elle réfléchissait constamment, se remettait en question. Elle se documentait beaucoup avant même l’écriture d’un scénario. Elle avait des idées d’écriture cinématographique qui lui passaient
par la tête. Il existe d’ailleurs une grande quantité de scénarios non réalisés dans nos archives. Elle travaillait beaucoup mais elle disait qu’il fallait qu’on donne l’impression que « tout soit fait de façon fluide, facile. »
Impossible d’évoquer Agnès Varda sans parler du cinéaste Jacques Demy, son compagnon, son mari, son amour, votre père adoptif et le père de votre frère Mathieu Demy.
Leurs univers étaient très différents, comment se passait cette cohabitation cinématographique, artistique ?
Ma mère et Jacques Demy avaient deux cinémas très différents mais ils avaient en commun l’exigence artistique. Ils discutaient de leurs films, allaient sur les tournages, ils étaient « un couple de cinéma ». Quand en 1964 Jacques Demy tourne Les Parapluies de Cherbourg, où il évoque la guerre d’Algérie, la province, la bourgeoisie, les classes sociales, le qu’en dira-t-on, il utilise la couleur d’une manière éblouissante en s’inspirant des tableaux de Matisse, de Van Dongen ; Agnès Varda réalise quasiment dans la même période Le Bonheur où elle s’inspire des Impressionnistes Monet, Seurat, Van Gogh et elle manie la palette des couleurs aussi bien que lui mais chez elle le sujet l’emporte sur la forme.
Il adorait la comédie musicale La Mélodie du bonheur, Agnès Varda trouvait le film niais
Elle n’aimait pas Blanche Neige et Jacques Demy lui disait : « tu ressembles à Blanche Neige ! » Ils ont vécu une grande histoire d’amour.
Qu’a représenté pour Agnès Varda la réalisation du film « Jacquot de Nantes » ?
À la fin des années 80, Jacques Demy était très malade et Agnès Varda savait qu’il allait mourir.
Elle lui a dit qu’il devrait écrire ses mémoires, et puis qu’il serait bien de réaliser ensemble un court métrage. Jacques Demy a écrit plus et c’est devenu un long-métrage.
Quelle meilleure preuve d’amour que celle de se glisser dans l’enfance de l’homme que l’on aime !
Pendant que ma mère tournait je m’occupais de Jacques, et je suis très heureuse de l’avoir fait.
La définition donnée à Ciné-Tamaris sur son site internet est : « une société qui a un nom de plante et qui s’occupe de faire vivre les films d’Agnès Varda et de Jacques Demy ».
Quelle est l’origine de la création de Ciné-Tamaris ?
En 1954 pour financer son premier film La Pointe courte, Agnès Varda a l’idée de créer une coopérative au nom de Tamaris Films (plante du Sud qu’Agnès Varda avait découverte à Sète), devenue ensuite Ciné-Tamaris. Dans les années suivantes elle a racheté les différentes parts. Elle a compris très tôt que ses films allaient être fragiles et elle a voulu les protéger. Elle les mettra, ainsi que ceux de Jacques Demy dans le catalogue de Ciné-Tamaris. En faisant cela, malgré les difficultés financières, elle disait « la liberté n’a pas de prix » cela a permis de les sauvegarder, de les restaurer et de les rendre accessibles. Il faut rappeler que dans les années 90 les films de Jacques Demy ne marchaient pas, et c’est grâce à une nouvelle génération de journalistes, notamment aux Inrockuptibles, qui au moment de la disparition de Jacques Demy ont remis ses films sur le devant de la scène, et que l’on a redécouvert son oeuvre.
Y-a-t-il des lieux particulièrement chers à Agnès Varda, qui ont été des sources d’inspiration pour son travail ?
Je ne sais pas si des lieux comme Sète, Noirmoutier, ont été réellement des sources d’inspiration pour Agnès Varda, en revanche je peux dire que ma mère était une fille de l’eau, elle aimait le soleil, les plages, elle disait « moi si on m’ouvrait on trouverait des plages ». Elle réalise le film Les Plages d’Agnès qui obtient en 2009 le César du meilleur documentaire.
Très tôt et jusqu’à sa disparition Agnès Varda affirmera son engagement féministe notamment dans son film « L’une chante et l’autre pas » en 1977, elle traitera de la question de la marginalité dans le film « Sans toit ni loi » Lion d’or à Venise en 1985 avec une extraordinaire Sandrine Bonnaire, filmera la précarité, le gaspillage dans « Les Glaneurs et la Glaneuse »…
Est-ce le fait que son œuvre cinématographique nous éveille à ce qui nous entoure, de l’actualité des thèmes qu’elle traite, qui font d’elle une cinéaste de son temps, toujours présente, proche des gens, du public ?
Comme je le disais précédemment, Agnès Varda est ancrée dans la société, le réel, bien présente là où elle est quel que soit l’endroit, et elle regarde, contrairement à certains artistes qui ne sont que dans leur monde.
« Elle offre l’hospitalité à ceux que l’on ne regarde pas » et ne verse jamais dans le misérabilisme.
Agnès Varda disait : « Pourquoi je filme ? Parce-que j’aime ça et que je ne sais rien faire d’autre ». Et pourtant une nouvelle rencontre va être déterminante dans son parcours artistique, celle avec Hans Ulrich Obrist chargé du projet « Utopia Station » en 2003 à la Biennale d’art contemporain à Venise. Elle choisit de présenter « Patatutopia » une installation (vidéo et physique) avec des patates, légumes qui lui sont chers (ses fameuses patates cœur).
Agnès Varda fera venir plus de huit cents kg de patates, se promènera dans les allées de laBiennale vêtue en « Dame Patate », et ce sera un succès.
De nouvelles installations, des performances artistiques, à Paris, notamment à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain, à l’étranger de la Chine aux USA, viendront au fil des années, compléter l’œuvre d’Agnès Varda d’abord photographe, puis cinéaste et plasticienne dans la
troisième partie de sa vie.
Était-ce une évolution nécessaire pour lui permettre d’exprimer pleinement sa créativité ?
L’art a été la première passion d’Agnès Varda, elle a fait des études d’histoire de l’art à l’école du Louvre puis aux Beaux-Arts. Elle disait : « l’art c’est ce qu’il y a de plus beau. La vie rentre dans l’art ». Et c’est effectivement grâce à Hans Ulrich Obrist qu’Agnès Varda va pouvoir exprimer son inventivité, sa créativité, son audace, dans le domaine des Arts plastiques. À partir de cette exposition à la Biennale de Venise en 2003 les propositions se multiplieront et elle réalisera de nombreuses installations en France et à l’étranger, tout en continuant à faire des films.
Elle se désignait comme une « vieille cinéaste, mais jeune artiste ».
Elle innovera jusqu’au bout. Que ce soit dans sa façon de filmer grâce à sa petite caméra numérique qui lui donnera une plus grande liberté de réalisation, que dans ses collaborations artistiques. Ainsi en 2017, elle co-réalisera avec l’artiste JR, célèbre pour ses collages photographiques XXL, le film documentaire « Visages, Villages » qui sera notamment récompensé de l’œil d’Or du Meilleur documentaire au Festival de Cannes et nommé en 2018 pour le César et l’Oscar dans la même catégorie.
Était-ce pour elle une façon de revenir à ses fondamentaux en sillonnant la France avec JR dans son camion studio pour aller à la rencontre des gens, les photographier et raconter ainsi leur histoire ?
C’était une période où je sentais que ma mère avait besoin de se remotiver et j’ai contacté l’artiste JR que je ne connaissais pas. Ils se sont tout de suite trouvés et ensemble ils ont co-réalisé ce road-movie moderne Visages, Villages. Formidable voyage à travers la France à la rencontre des anonymes, parler de tout avec eux, les photographier. Le film a été accueilli magnifiquement par la profession et le grand public.
Agnès Varda a aussi filmé sa vieillesse. Dans « Les Plages d’Agnès » elle met en scène ses « quatre-vingt balais » et pour déjouer les signes du temps qui passe, elle se crée un personnage avec sa coiffure bicolore. Le dessinateur Christophe Vallaux la représente de façon très réussie et amusante sous les traits « d’une vieille dame rondouillarde ». Cette illustration est désormais utilisée comme un véritable logo dans les publications, sur les pochettes de DVD et autres supports. Agnès Varda est-elle ainsi devenue une marque, qui la fait reconnaître de façon universelle ?
C’est Agnès Varda elle-même qui s’est créé un personnage quand, après ses 80 ans, elle décide d’adopter cette coiffure Punk bicolore, cette coiffure va rester sa signature jusqu’à la fin de sa vie.
Dans la série documentaire « Agnès de ci de là Varda » elle faisait cette réflexion : « Maintenant que je suis vieille on a tendance à me décerner partout des prix, à me donner des trophées ». L’ensemble de son œuvre a été récompensée par des distinctions prestigieuses. En 2001 elle reçoit un César d’honneur, 2015 une Palme d’or d’honneur à Cannes, et un Oscar d’honneur en 2017 à Hollywood.
Vous assistiez à cette cérémonie des Oscars, racontez-nous comment cela s’est passé.
J’ai accompagné ma mère à Hollywood quand elle a reçu un Oscar d’honneur, la plus grande récompense du cinéma américain, à l’occasion de la cérémonie des Governors Awards. Cette distinction qui salue l’ensemble de sa carrière lui a été remise par l’actrice américaine Angelina Jolie et ma mère a esquissé avec elle sur la scène un pas de danse. Agnès Varda dans son discours a déclaré : « Les Gouverneurs m’ont donné ce prix, c’est une récompense pour l’ensemble de mon travail, effectué pendant plus de 60 ans. Ça me met en lumière, et ça met aussi en lumière le cinéma français. Cette soirée est importante, pleine de sens. Entre la nuit et la lumière, je choisis la lumière et ça me donne envie de danser la danse du cinéma ! »
Vous étiez très proche de votre mère Agnès Varda, quels sont les moments de vie, de travail, partagés avec elle qui vous ont le plus marqués ?
Ma mère a été très importante pour moi. Nous étions effectivement très proches, et j’ai beaucoup travaillé avec elle, j’ai joué dans certains de ses films. Pour mes dix-huit ans comme cadeau d’anniversaire elle m’a dédié le film L’une chante, l’autre pas, son long-métrage le plus engagé en faveur des droits des femmes. La sororité était très importante pour ma mère.
Elle m’a inculqué des valeurs d’indépendance, d’autonomie, elle m’a enseigné la clarté et je constate son impact actuel sur les jeunes générations.
Quelle est votre mission dans la conservation et la valorisation de l’œuvre d’Agnès Varda ?
À Ciné-Tamaris je gère tout le catalogue Demy et tout le catalogue Varda. En 2008, j’avais déjà commencé à travailler sur les films de Jacques Demy pour les restaurer, les numériser, finir d’acquérir les droits de certains, monter des financements, chercher des mécènes, etc. C’est comme cela que je me suis lancée dans ce métier, tout doucement, un métier que j’appellerais la valorisation, le partage, la commercialisation, la transmission d’un catalogue de films.
Mais, au début, comme j’étais costumière de formation je ne savais pas ce qu’était un devis pour restaurer un film. J’ai appris sur le tas. Et j’ai aimé faire cet accompagnement auprès d’Agnès. Je suis devenue officiellement la gérante de Ciné-Tamaris. Plus le temps passe et plus je reçois des demandes de chercheurs, d’universitaires, de gens qui préparent des thèses de doctorat.
Nous, chez Ciné-Tamaris, on continue ce qu’Agnès avait initié après la mort de Jacques. On répond à tous ces gens, on leur donne accès aux informations, aux photos, on reste présents. C’est un travail, un maillage, qui a marché pour Jacques à l’international, qui fait que l’héritage de Jacques n’a pas été oublié. Et, aujourd’hui, je ressens la même chose pour Agnès.
Au nom de l’Alliance Française de Trieste, je vous remercie chaleureusement pour nous avoir accordé cet entretien et donné ainsi l’occasion d’évoquer votre mère Agnès Varda, femme et artiste qui suscite notre admiration. La conclusion lui appartient : « Certains veulent la gloire, l’argent et le bonheur, j’avais le cinéma et l’amour. What else ? ».