Depuis plus de quarante-cinq années Zinedine Soualem occupe les scènes de théâtre, les plateaux de cinéma et de télévision. C’est un visage familier au grand public français. Il collabore avec les plus grands metteurs en scène de théâtre et du cinéma français et international. Il est également le père de Mouna Soualem, actrice, et de Lina Soualem réalisatrice de deux documentaires Leur Algérie et Bye Bye Tibériade sélectionnés dans de nombreux festivals. Il nous fait l’amitié de cet entretien pour l’Alliance Française de Trieste afin de nous parler de son parcours artistique, de celui de ses filles Mouna et Lina, et de ses projets à venir.
Comment avez-vous débuté votre parcours artistique ?
Je suis né à Thiers dans le Puy de Dôme. J’ai passé mon bac en 1975, et je suis entré à la faculté de lettres de Clermont-Ferrand. En 1976, j’ai fait la connaissance d’un mime péruvien qui m’a initié à son art. Cela m’a passionné et j’ai commencé à pratiquer le mime. En 1977 je me suis rendu au Pérou pour me perfectionner et à mon retour j’ai abandonné mes études de lettres pour me produire comme mime pendant sept ans.
Zinedine Soualem mime dans la cour du Palais des Papes Avignon
Faire l’acteur était-ce pour vous un hasard ou un véritable désir ?
J’avais en moi depuis toujours le goût du spectacle, du théâtre. Pendant cinq années tous les étés je descendais au Festival d’Avignon où je me produisais comme mime sur la place du Palais des Papes. Cependant, même si j’avais ce désir de faire le mime, une partie de moi voulait aller plus loin, faire du théâtre. En 1980 je suis venu m’installer à Paris et en 1981 je me suis inscrit au cours Viriot, école d’art dramatique. C’était aussi pour moi l’occasion de rencontrer des gens de mon âge, ayant les mêmes désirs artistiques. Ce fut une très belle expérience.
Dans mon métier on parle de travail, de talent et de chance. Certaines rencontres peuvent être de véritables opportunités pour la suite, comme celle que j’ai eu à cette époque, avec un réalisateur qui m’informe que le metteur en scène Patrice Chéreau va monter la pièce de Jean Genet Les Paravents au théâtre des Amandiers à Nanterre.
Je décide alors d’écrire une lettre à Patrice Chéreau pour lui dire mon souhait d’en être et j’envoie mon courrier en joignant deux de mes photos. Quelques jours après je reçois un coup de téléphone pour me dire que j’avais rendez-vous avec Patrice Chéreau, et à l’issue de notre rencontre il m’a recruté. Pendant six mois, en 1983, j’ai eu le bonheur de jouer cette pièce de Jean Genet avec des comédiens formidables, dont la grande Maria Casarès.
Et je continuais à me produire comme mime tous les étés à Avignon, et à Beaubourg durant l’année. C’est également à cette période, toujours grâce à mes rencontres, que j’ai commencé à jouer au cinéma dans le premier film de La Bête noire de Patrick Chaput puis dans Hanna K de Costa-Gavras.
Au théâtre vous avez notamment été dirigé par deux metteurs en scène mythiques : Patrice Chéreau et Ariane Mnouchkine, quelles étaient leurs particularités ?
J’avais toujours ce désir profond de continuer à faire du théâtre et j’avais très envie de rejoindre la compagnie d’Ariane Mnouchkine. J’avais appris qu’elle organisait des stages dans son théâtre du soleil et que souvent, à l’issue de ces stages, elle recrutait des comédiens. Comme je l’avais fait avec Patrick Chéreau, j’ai écrit une lettre de motivation à Ariane Mnouchkine. J’ai été convoqué en été pour un premier stage, nous étions quatre cents à avoir répondu. Le premier jour du stage Ariane Mnouchkine nous informe que nous allons faire des improvisations avec des masques, des costumes. Un matin elle dit : « il y a trop de monde, je vais sélectionner trente personnes et après je ferai un deuxième stage ». Pendant cette période qui s’est étalée sur un mois, je suis passé deux fois pour une improvisation avec un masque balinais et le masque de Pantalone de la Commedia dell’arte. De trente candidats sélectionnés, nous avons été vingt à être recrutés comme stagiaires, et in fine cinq de nous ont été retenus. Lors de mes improvisations avec des masques j’ai eu la chance d’être remarqué par Ariane Mnouchkine qui m’avait demandé mon nom et prénom alors que certains candidats avaient été éconduits avec son expression lapidaire : « Va t’assoir je n’ai pas le son minimum pour travailler ».
Je pense que c’est grâce au mime que j’ai surmonté les différentes épreuves car l’exercice de cet art m’a donné la conscience de mon corps dans l’espace, essentielle dans le métier de comédien.
J’ai été intégré dans la compagnie du Théâtre du soleil où je suis resté de janvier 1985 à juillet 1991. J’en suis parti de mon propre chef pour connaître d’autres aventures artistiques.
En ce qui concerne ces deux grands metteurs en scène, Ariane Mnouchkine et Patrice Chéreau, leurs méthodes de travail étaient très différentes. Ariane Mnouchkine avait constitué sa troupe sur un mode démocratique, de coopérative. Son théâtre est défini par la choralité, par une éthique de l’effort qui garantit la cohésion de l’équipe et sa solidité. Pour elle faire du théâtre « c’est gravir une montagne ». Elle était impressionnante de travail, infatigable.
Avec Patrice Chéreau, autre grand metteur en scène de théâtre, le fonctionnement était tout autre. La notoriété des comédiens était prise en compte dans la relation avec le metteur en scène. C’étaient deux écoles de théâtre complètement différentes, mais toutes deux extrêmement enrichissantes.
Vous avez tourné, souvent plusieurs fois, avec de nombreux réalisateurs et réalisatrices parmi lesquels : Claude Lelouch, Costa-Gravas, Mathieu Kassovitz, Michel Hazanavicius, Dany Boon, Alain Chabat, Marie-Castille Mention-Chaar, Camille Japy…, mais il y a un réalisateur dont vous êtes « le comédien fétiche », il s’agit de Cédric Klapisch. Est-ce une rencontre qui a été déterminante dans votre parcours ?
En 1989 j’apprends par une amie scripte que Cédric Klapisch réalise son premier court métrage Ce qui me meut, qui a d’ailleurs reçu en 1990 le César du meilleur court métrage.
C’est à cette époque que je fais sa rencontre, qui sera déterminante dans mon parcours artistique. Pour son premier long-métrage en 1992 Riens du tout, je participe aux ateliers qu’il organise pour sélectionner les comédiens et c’est le début d’une longue histoire artistique et amicale car depuis Cédric Klapisch fait appel à moi pour jouer dans chacun de ses films.
Ce qui nous lie c’est la même vision du monde, le même sens de l’humour. Notre amitié s’est renforcée au fil des années et nous partageons ensemble beaucoup de bons moments.
Ce que j’apprécie tout particulièrement chez Cédric c’est son humanité. C’est un formidable directeur d’acteurs qui nous donne la possibilité de nous exprimer.
De son travail de réalisateur il dit « Je remarque ce qui est normal » et c’est ce qui me plait dans son cinéma, il met en valeur les petites choses de la vie.
Vous vous êtes engagé pendant de nombreuses années dans une association Le Rire Médecin qui fait intervenir des clowns dans les services pédiatriques des hôpitaux. Quel a été pour vous l’importance de cet engagement ?
En 1991 j’avais été contacté par Caroline Simonds, la fondatrice et présidente de l’association Le Rire Médecin. Cette association envoie des comédiens professionnels déguisés en clowns dans les services pédiatriques. J’avais un peu de réticences au début car je ne me sens pas à l’aise dans les hôpitaux. Mais je me suis fait courage pour les enfants malades, et grâce à mon costume de clown j’ai pu leur apporter le sourire, et cela pendant sept années. Ce furent des moments forts en émotion.
Vous êtes le père de Mouna Soualem, actrice, et de Lina Soualem réalisatrice, filles de la comédienne Hiam Abbass. Toutes deux sont également dans le domaine artistique.
Avez-vous influencé leur choix ?
Mes deux filles Mouna et Lina sont effectivement dans le domaine artistique. C’est vrai qu’elles étaient dans un contexte familial de nature à favoriser cette orientation entre leur mère, la comédienne Hiam Abbass, et moi-même. Cependant je ne les ai jamais influencées dans leurs choix car je sais combien c’est difficile de réussir dans ce domaine.
Toutes deux ont fait de brillantes études. Ma fille Mouna a obtenu une licence de cinéma à l’Université Paris 8, et en 2017 elle est partie à New York pour parfaire sa formation d’actrice.
Elle a suivi des cours jusqu’en 2020, à la prestigieuse école Stella Adler Studio of Acting.
Sa filmographie est déjà conséquente. Elle commence en 2005 avec Munich le film de Steven Spielberg. En 2019 la réalisatrice Hafsia Hersi fait appel à elle pour son film Tu mérites un amour ; elle a joué dans La nuit du 12 de Dominik Moll qui a obtenu en février 2023 le César du meilleur film ; dans la série télévisée Oussekine d’Antoine Chevrollier ; dans le film de Dina Amer Tu me ressembles, sélectionné à la Giornata degli autori à Venise qui va sortir sur les écrans en fin d’année, et dans lequel j’ai eu une participation avec ma fille.
Elle vient de finir de tourner dans la série policière de huit épisodes de 52 minutes Cimetière indien réalisée par Stéphane Demoustier pour Canal +, où elle a le rôle principal d’une jeune policière de l’anti-terrorisme, et c’est une histoire qui se passe sur vingt-cinq ans.
Je suis vraiment admiratif de son parcours et de sa façon très organisée, de travailler les rôles.
Quant à Lina, après avoir obtenu une double licence en histoire et sciences politiques à la Sorbonne, elle est partie en Argentine à Buenos Aires pour préparer son master 2 en études européennes et relations internationales. Là-bas elle a travaillé pour un festival de cinéma des droits de l’homme comme attachée de presse et programmatrice, et c’est là où elle s’est particulièrement intéressée au genre documentaire.
Votre fille Lina Soualem a réalisé deux documentaires de mémoire familiale très touchants, à l’aide de vos archives filmées dans les années 90. Le premier « Leur Algérie », sorti en salles le 13 octobre 2021, est l’histoire vraie de Aïcha et de Mabrouk, vos parents immigrés d’Algérie, qui ont quitté leur pays dans les années 50 pour venir travailler en France, et le second documentaire
« Bye Bye Tibériade » sorti en France le 21 février 2024, toujours en salles, évoque l’histoire familiale de sa mère, la comédienne palestinienne Hiam Abbass.
Quel regard portez-vous sur le travail de votre fille Lina ? Avez-vous appris quelque chose sur l’histoire de vos parents, de votre famille ?
Quand ma fille Lina m’a dit un jour : « Je vais faire un film sur Mémé », j’en ai été surpris. Elle voulait faire un film sur une femme, ma mère, qui n’avait jamais rien choisi dans sa vie. Elle a beaucoup travaillé à partir de mes archives filmées dans les années 90 et elle m’a demandé de participer à son documentaire Leur Algérie car c’était aussi mon histoire.
J’ai été admiratif de la voir faire et du résultat. Le film a été très bien accueilli car il a touché les gens, et je ne m’attendais pas à ce que mes archives familiales soient vues par autant de personnes !
Grâce à ce documentaire j’ai moi-même appris des choses sur la vie de ma mère, de mes parents, Lina leur a posé des questions que je n’ai jamais osé poser.
Elle a fait la même démarche du côté maternel pour son deuxième documentaire Bye Bye Tibériade où elle interroge sa mère Hiam Abbass sur sa jeunesse en Palestine, sur ses parents.
Le film est toujours en salles et il a dépassé les 50 000 spectateurs.
Je dois vous faire une confidence, quand nous faisions ensemble les interviews pour son film Leur Algérie, j’écoutais ma fille Lina répondre aux questions des journalistes, elle avait une pensée très claire sur le sens de son travail, je buvais ses paroles, et quand on me posait des questions je ne pouvais que répéter ce qu’elle venait de dire, sans avoir autre chose à ajouter !
Documentaires réalisés par Lina Soualem
Y-a-t-il un rôle que vous souhaiteriez tout particulièrement interpréter ?
J’ai la chance dans mon métier d’avoir interprété toutes sortes de personnages, dans tous les registres, d’avoir la confiance de réalisateurs, de réalisatrices qui apprécient mon travail, avec lesquels j’ai noué des liens, et qui me sollicitent pour jouer dans d’autres films. Et j’aime aussi me renouveler en faisant confiance aux jeunes générations.
Mon enthousiasme pour ce métier reste intact, je ne m’en lasse pas et je m’investis à 100% quelques soient les rôles, les formats des films.
D’être sur un plateau de cinéma ou de télévision, sur une scène de théâtre pour travailler, cela me fait vibrer et c’est pour cela je continue !
Dans quel prochain film allons-nous vous retrouver ?
J’ai tourné en février dernier à Munich dans un unitaire en anglais September 5 de Tim Fehlbaum, pour Paramount Plus.
J’ai également joué dans le premier long-métrage de Reda Kateb Sur un fil qui sortira en salles à la fin de cette année. Ce film est inspiré du recueil Le Rire médecin, sur l’univers des clowns à l’hôpital, que je connais bien pour y avoir participé.
Mi-avril, je commence le tournage prévu à Paris et en Normandie du prochain film de Cédric Klapisch qui s’appelle La venue de l’avenir. C’est un film choral qui se passe aujourd’hui et il y a cent ans, et dans lequel j’ai l’un des huit rôles principaux.
Je vais aussi jouer dans le premier long-métrage d’Anthony Bajon, avec Karim Leklou dans le rôle principal. J’avais déjà participé à son premier court métrage La grande ourse il y a deux ans.
Avez-vous des projets personnels d’écriture, de réalisation ?
J’ai dans mes tiroirs le scénario d’une comédie sociale que j’ai écrit et que je souhaiterais réaliser, mais pour le moment rien n’est concrétisé.