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Entretien avec Arianne Ascaride: comédienne, scénariste, metteuse en scène par Milvia Pandiani-Lacombe

Ariane Ascaride est une femme qui suscite l’admiration par son talent de comédienne populaire, plusieurs fois récompensé, mais aussi par sa capacité à s’émouvoir, à s’indigner des injustices qu’elle perçoit et qui lui semblent insupportables. Son humanité, sa conscience de l’autre font partie de son ADN et elle n’hésite pas à s’exprimer publiquement quand il s’agit de défendre la culture, la condition de la femme, celle de la planète, des jeunes… Enfant de l’école de la République, elle attache une valeur particulière aux mots : égalité, fraternité.

Ariane Ascaride est une personnalité dont la sincérité, les « coups de colère », mais aussi le sourire, nous touchent profondément et nous la font sentir proche. Le premier confinement lié à la pandémie l’a particulièrement éprouvée au point d’écrire un recueil de lettres à son père, disparu depuis plusieurs années. Ariane Ascaride nous fait le bonheur de cet entretien pour parler de son parcours et de son livre « Bonjour Pa’. Lettres au fantôme de mon père ».

Très jeune vous étiez sur les planches avec votre père qui faisait du théâtre amateur. Cela a-t-il influencé votre choix de devenir comédienne ?

Je crois au fond que je n’ai pas décidé d’être comédienne, inconsciemment cela s’est établi en moi, dès ma plus petite enfance j’allais le dimanche voir jouer mon père, le lieu même du théâtre n’a jamais été pour moi une découverte, l’odeur des plateaux poussiéreux, des coulisses, des loges, du maquillage de théâtre, font partie de mes réminiscences les plus lointaines, de la même manière que celle des parfums de ma tante. J’ai d’ailleurs gardé de cela une certitude : quand j’arrive dans un théâtre le plateau m’appartient… Je suis un peu comme Obelix , on pourrait dire que « je suis tombée dedans » dès mon enfance et puis cela me permettait de croire que je pourrais avoir des tas de vies. Ce n’est pas véritablement la réalité, mais le temps d’un spectacle ou d’une journée de tournage notre enveloppe corporelle peut abriter un personnage fictionnel et cela permet d’éprouver des multitudes d’émotions mais il faut garder en soi sa propre personne et ses propres émotions, c’est la confrontation entre la fiction et la réalité, cet étrange et magique mélange qui donne vie à un personnage.

Quels souvenirs gardez-vous de l’enseignement reçu au Conservatoire national supérieur d’art dramatique ? Quels sont les professeurs qui vous ont marquée et pour quelles raisons ?

Le Conservatoire a été un moment fondateur dans mon existence, j’y ai rencontré de grands hommes de théâtre Antoine Vitez, Pierre Debauche, Jean-Paul Roussillon, et un très grand réalisateur qui a inventé avec d’autres la télévision des années 60, 70, 80 : Marcel Bluwal. Ils nous ont fait découvrir l’exigence que nous devions avoir envers nous-mêmes pour exercer notre métier. Ils nous ont ouvert des horizons inconnus, nous étions 24h sur 24h en état de découverte. J’y ai aussi rencontré des amis avec lesquels je suis toujours liée comme Jean-Pierre Darroussin entre autres. Je souhaite à toutes les jeunes actrices et à tous les jeunes acteurs de vivre, comme nous, trois années épuisantes mais exaltantes.

Qu’est-ce que « le théâtre à domicile » auquel vous participez à vos débuts avec votre frère Pierre Ascaride ?

Dans la fin des années 70, il y avait toute une mode du « Théâtre du Quotidien », sur les plateaux de théâtre souvent étaient mis en place des décors plus que réalistes de cuisines, de salles de séjour etc…

Mon frère Pierre Ascaride a eu l’idée de confronter le théâtre à la réalité d’appartements de cités populaires. Nous avons commencé en banlieue dans les tours de Bobigny, le spectacle débutait au moment où je sonnais à la porte, quelqu’un de la Maison de la Culture 93 venait faire des repérages quelques jours plus tôt car j’avais besoin de savoir où était une prise de courant. Nous arrivions maquillés, costumés, avec deux valises chacun à la main et un étrange projecteur, nous demandions aux gens d’inviter leur famille, leurs voisins et leurs amis. La plupart du temps nous jouions devant la télévision sur un rectangle de 2m50 sur 2 m et très vite nous nous sommes aperçus que la magie du théâtre était plus forte que tout, et transformait les lieux le temps du spectacle. De nos valises sortaient des décors, c’était un spectacle très ingénieux. Dès que la presse a eu vent de cette proposition, les journalistes ont voulu voir le spectacle mais on les présentait comme des animateurs, il était hors de question que l’assistance sache qu’ils étaient des critiques. Donc je peux dire qu’il me reste des souvenirs très jubilatoires de ces journalistes craints par le métier, avec un enfant de la famille qui leur grimpait dessus ! Nous jouions des nouvelles d’Italo Calvino qui d’ailleurs vivait à cette époque dans le 14ème arrondissement de Paris, et il nous avait accueillis pour jouer chez lui devant un parterre du monde de l’édition, j’avais eu très peur … Ce spectacle a fait un tel bruit que grâce à lui, nous sommes dans l’encyclopédie théâtrale comme les créateurs français du théâtre à Domicile …😉

Vous dites que « le théâtre c’est la voix et le corps », comment préparez-vous vos rôles ?

Je ne suis pas Flaubert, loin de là, mais je le reprends tout à fait à mon compte lorsqu’il disait « mariner » quand il écrivait. Je suis un peu comme ça, c’est comme si je faisais un déménagement dans ma tête et que je laissais la place aux meubles qui me semblent justes pour mon rôle. Je lis les scénarios très longtemps avant le tournage et je laisse circuler mon personnage dans mon esprit et parallèlement je cherche les chaussures qui lui correspondent, c’est fondamental pour moi, car c’est comme un arbre, on part des racines pour remonter au cerveau. On reconnaît chacun à sa démarche qui lui est propre d’où se poser la question des chaussures qu’il pourrait acheter. Si je joue Sylvie dans Gloria Mundi, il faut des chaussures pratiques pour faire le ménage. Si je joue Ariane dans Au fil d’Ariane il faut des chaussures à talons et de couleur car nous sommes dans une fantaisie et de ces chaussures va dépendre la position de mon corps.

Votre rencontre avec Robert Guédiguian a été déterminante dans votre vie personnelle et artistique. Participez-vous à l’écriture de ses films, de vos personnages ? Comment se passent les tournages sous sa direction ?

Quand j’ai rencontré Robert, il ne pensait absolument pas faire du cinéma, c’était un spectateur assidu mais il voulait être un historien-sociologue, un pur intellectuel. Moi par contre j’étais déjà sur les rails, je me suis retrouvée à jouer dans La Communion Solennelle de René Féret, le film a été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes en 1977 et tous les acteurs ont été invités au festival, Robert m’a accompagnée, ils se sont rencontrés avec René Féret, ce dernier lui a proposé d’écrire avec lui un scénario et voilà comment l’histoire a débuté.

Plus tard, il a décidé d’écrire pour lui-même et de se lancer dans la réalisation. Nous avons commencé ainsi, personne ne nous connaissait, nous n’étions pas du tout des enfants du sérail. Par contre les choses ont été définies très vite entre nous, j’étais actrice, mais je n’intervenais pas dans l’écriture à part bien plus tard lorsque j’ai eu l’idée du Voyage en Arménie dont j’ai écrit le scénario avec Marie Desplechin.

Nous avons vite créé une bande avec les acteurs et les techniciens. Voilà aujourd’hui 40 ans que nous travaillons ensemble, les tournages se passent dans une très grande convivialité, amitié. Robert Guédiguian a un grand respect des acteurs qu’il considère comme des auteurs de leurs personnages, il n’est donc absolument pas un réalisateur directif. Tout se passe dans un très grand respect et une ambiance toujours très chaleureuse.

 

             
Ariane Ascaride et Robert Guédiguian

Vous obtenez en 1997 le César de la Meilleure actrice pour votre rôle de Jeannette dans le film « Marius et Jeannette » de Robert Guédiguian. Qu’est-ce que cela a changé dans votre parcours d’actrice ? Êtes-vous finalement devenue « légitime » à vos yeux ?

Bien sûr le César obtenu pour le rôle de Jeannette a changé en une soirée le cours de ma vie. De comédienne inconnue, je suis devenue cette comédienne qui représentait des personnages du monde populaire et qui les mettait dans la lumière. Mon nom était devenu connu et me donnait la possibilité de travailler avec d’autres réalisatrices et réalisateurs. Quant à penser que je me suis sentie après légitime c’est une autre histoire. Le monde du cinéma est un monde dur et j’aurais plutôt tendance à garder toujours à l’esprit que tout est éphémère…😀😀

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L’Italie occupe une place particulière dans votre histoire familiale mais aussi professionnelle. Comment s’est passé le tournage à Trieste du film « Isabelle » sous la direction de Mirko Locatelli ? Et quelle a été votre réaction quand vous avez reçu la coppa Volpi de la Meilleure actrice à la Mostra di Venezia en 2019, pour votre interprétation de Sylvie dans « Gloria Mundi » de Robert Guédiguian ?

L’Italie est le pays de mes ancêtres paternels et c’est un pays extrêmement cher à mon cœur. Je suis une enfant issue de l’immigration italienne celle de mes grands-parents, j’ai toujours eu depuis enfant la sensation que cela était inscrit dans mon corps, et j’ai voulu dès l’âge adulte aller à la découverte de ce pays que mon père refusait de revendiquer. À mon premier voyage, je me suis reconnue en lui, une partie de mon être s’est ouvert comme une fleur, j’y ai des amies et amis extrêmement précieux.

Quand je suis venue tourner d’abord à Bari avec Stefano Consiglio pour L’Amore non perdona puis à Trieste avec Mirko Locatelli pour Isabelle mon bonheur a été profond de jouer dans cette langue qui n’est pas celle de ma naissance mais celle d’un passé qui me constitue. J’avais extrêmement peur mais en même temps j’éprouvais une grande jubilation. J’ai adoré Bari en hiver et j’ai découvert cette incroyable ville qu’est Trieste et qui laisse en vous des marques indélébiles. Le tournage d’Isabelle n’a pas toujours été simple mais il y a eu une grande complicité entre l’équipe, le jeune acteur qui m’accompagnait Samuele Vessio et moi, malgré des difficultés de rapports avec la mise en scène. L’Amore non perdona m’a rapporté en juillet 2015 le prix d’interprétation du festival des « Bimbi belli » organisé à Rome par Nanni Moretti, et Isabelle le prix de la Meilleure actrice en 2018 au festival de Captown en Afrique du Sud. Donc je ne peux avoir que des souvenirs très doux quand je pense à l’Italie. Sans parler de la Coppa Volpi en 2019 à la Mostra di Venezia qui était comme un signe d’accueil total de la part de ce pays si beau, si riche culturellement et qui pourtant est traversé de chocs parfois violents.

   

     

                                                                  Coppa Volpi en 2019 à la Mostra del Cinema di Venezia

Que représentent pour vous les livres, la littérature, et quelles sont les œuvres littéraires qui ont le plus compté pour vous ?

La littérature je crois m’a sauvé un peu la vie, elle m’a permis de m’échapper des moments de mon enfance qui n’étaient pas toujours très heureux. Je lis tout le temps c’est comme boire et manger chez moi. Je peux relire plusieurs fois les mêmes livres, par exemple je relis chaque année « Madame Bovary » de Flaubert. J’adore aussi Balzac, il est vrai que j’aime beaucoup la littérature française du 19ème siècle. Mais j’adore Joyce Carol Oates, Carson McCullers, Nancy Huston, Anna Seghers (autrice allemande, très méconnue en France), et bien sûr Elena Ferrante ! C’est très présomptueux mais chaque fois que je la lis, j’ai l’impression qu’elle écrit pour moi ! 😀😀😀

L’immense actrice et femme engagée Simone Signoret aurait eu 100 ans cette année, a-t-elle été un modèle, une source d’inspiration pour vous ?

Simone Signoret c’est avant tout une femme forte, indépendante, amoureuse, très intelligente qui a toujours, avec beaucoup d’élégance, répondu à tous ses détracteurs. Une femme qui s’est imposée avec sa parole, ses points de vue, sa clairvoyance aiguë, et son immense talent. Elle gagne un Oscar là où on ne l’attend pas et elle fait taire ainsi tous les commérages minables. Elle n’a jamais regardé vers le bas, elle n’était intéressée que par le dépassement de la pensée. Une grande dame, très grande dame !

Le premier confinement lié à la pandémie est à l’origine de votre livre intitulé « Bonjour Pa’. Lettres au fantôme de mon père ». Qu’est-ce qui vous a décidé à franchir le pas de l’écriture ? Et pourquoi avez-vous choisi de vous adresser à votre père disparu depuis longtemps ? 

Si j’ai écrit avant tout c’était pour m’enlever les enclumes que j’avais sur le plexus et qui m’empêchaient de respirer. Il n’était pas du tout prévu qu’un livre voit le jour, c’était quasiment thérapeutique pour moi, pour calmer mon angoisse et ma colère. Ce sont les Éditions du Seuil qui sont venues me chercher en la personne de Sophie Lhuillier qui avait entendu une lettre sur France Inter que j’avais écrite pour Augustin Trapenard.

Pourquoi écrire à mon père ? Parce que je me voyais mal raconter la science-fiction dans laquelle nous étions plongés, à une personne qui était dans la même situation que moi. Il fallait quelqu’un qui n’était pas touché par ce phénomène…donc il ne restait que le fantôme de mon père avec qui j’avais l’habitude adolescente d’échanger, avec cet homme qui lui-même pouvait raconter de très belles histoires. Je pense aussi qu’il y a un petit phénomène de régression en ces temps que je vivais avec une énorme violence. Nous sommes plongés pour moi depuis un an dans une histoire de fous !

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Êtes-vous inquiète pour le devenir de la Culture et pour le retour du public dans les salles de cinéma, dans les théâtres à l’issue de cette pandémie ? Avez-vous des projets en cours ?

Bien évidemment devant les soucis que les patients, les soignants, les hôpitaux vivent, la Culture apparaît comme un groupement d’histrioniques privilégiés, or nous sommes tout sauf cela, nous sommes indispensables à la vie de la Cité, nous aidons les autres à respirer, à réfléchir. Par nous l’émotion circule et impacte les spectateurs. Quelle sensation incroyable que de partager la même émotion avec un voisin ou une voisine inconnue que nous ne reverrons jamais mais dont nous entendions le souffle pendant le temps d’un film. C’est une extraordinaire émotion que de vivre cela. Et depuis des mois les cinémas, les théâtres, les musées sont portes closes. Il faut beaucoup de force et de courage pour continuer à tenir et à croire que nous allons nous retrouver ensemble. Mais je veux y croire plus que tout et nous devons tenir encore et toujours. Mais en ce moment comme disait Raymond Queneau « Il n’y a pas que la rigolade, il y a aussi l’art ».

Mes projets sont tous en attente autant des tournages que des reprises de spectacles, nous sommes tous dans les starting-blocks …

Si rien ne change je vais finir par chanter dans la rue ……

Chère Ariane Ascaride je souhaiterais conclure cet entretien par votre citation qui définit le travail des artistes : « Cela fait 40 ans que les politiques considèrent la création artistique et la culture comme du divertissement. Ce n’est pas ce que nous faisons, nous racontons le monde. On le fait depuis Shakespeare ».

Merci pour m’avoir accordé cet entretien.

       

       

 

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