Entretien avec Marc Fitoussi, scénariste et réalisateur de longs- métrages et de séries télévisées. Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe.
Marc Fitoussi est un scénariste et réalisateur de longs-métrages et de séries télévisées, dont la fameuse série Dix pour cent diffusée sur France 2, également disponible sur Netflix. Il avait accepté de faire cet entretien pour l’Alliance Française de Trieste, lors de notre rencontre à la 15ème édition du Festival du Film Francophone d’Angoulême où était présenté en avant-première son film Les Cyclades, qui sortira sur les écrans français en janvier 2023. Je suis particulièrement heureuse de mener cet entretien avec un réalisateur que j’apprécie pour son talent artistique, ses qualités humaines, et dont les films rencontrent l’adhésion du grand public.
Comment avez-vous débuté votre parcours de cinéaste ?
J’ai toujours rêvé de faire du cinéma mais lorsqu’on ne connaît personne dans ce milieu, on hésite à pousser la porte, pensant bêtement qu’il faut être pistonné ou tout du moins recommandé. J’ai donc d’abord opté pour des études d’anglais et d’histoire de l’art. Je m’y ennuyais un peu et écrivais à mes heures perdues des scenarii. C’est ainsi que j’ai pu approcher quelques réalisateurs qui m’ont encouragé (Pierre Salvadori, Jacques Audiard dont j’avais trouvé le numéro de téléphone dans le bottin…). Fort de leurs encouragements, j’ai passé un concours et ai intégré la première promotion du Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle. Là-bas, je me suis formé au métier de scénariste. Et j’ai parallèlement fait pas mal de courts métrages. Histoire de me sentir complètement légitime…
Qu’est-ce qui vous a décidé à réaliser votre premier long-métrage « La vie d’artiste » sorti en 2007 ? Comment s’est déroulé le tournage ?
Les courts ont été vus et appréciés en festivals, et Haut et court, célèbre société de cinéma, a décidé de produire et distribuer mon premier long. Il y est question de la difficulté pour un artiste d’être reconnu, un sujet qui avait forcément à voir avec mes débuts. Surtout, c’était un récit qui mettait l’accent sur mon amour des acteurs, et plus particulièrement des actrices. Je suis assez fier de me dire que dès ce premier opus, j’ai pu embarquer Sandrine Kiberlain, Émilie Dequenne, Valérie Benguigui, Aure Atika, Maria Schneider… Le tournage a duré quarante jours (un luxe aujourd’hui…) et je me souviens que c’était un peu étrange de passer des courts ou moyens métrages où tout le monde était bénévole, passionné, à ce film où tout à coup on me tombait dessus car les heures supplémentaires n’étaient pas payées, ou parce que la cantine était située trop loin d’un décor : soudain j’étais devenu un chef d’entreprise entouré de salariés parfois mécontents… Encore aujourd’hui, je regrette un peu l’aspect plus artisanal et frondeur de mes premiers courts : tout le monde savait s’y réjouir.
Quels sont les facteurs qui déclenchent votre envie d’écrire un scénario : une situation particulière, un fait divers, un lieu, le désir de tourner avec une actrice, un acteur ?
Un peu tout ça à la fois… L’envie aussi aujourd’hui de voyager à travers mes films. Tourner hors de Paris m’excite beaucoup, cela crée du challenge (et Dix pour cent me permet d’une certaine manière de revenir à la maison…) Ce qui est drôle, c’est qu’on commence parfois l’écriture d’un projet en pensant très fort à une actrice qui n’est finalement pas celle qui dira oui. Il vaut donc mieux entamer un film en se disant qu’il va beaucoup être réinventé.
De la comédie policière avec « Pauline Détective », aux comédies dramatiques, familiales, sociales avec « Copacabana », « Maman a tort », au thriller avec « Les Apparences », vos films abordent des genres différents. Vous dites d’ailleurs « aimer passer d’un genre à l’autre », avez-vous toutefois un genre qui a votre préférence, qui vous permette de vous exprimer pleinement ?
J’aime mélanger les genres mais je pense avoir ma patte, une sorte de signature. S’il fallait l’expliquer, ce serait une forme d’humour doux-amer, de regard assez mordant et espiègle sur notre société. Je ne pourrai jamais faire un film grave dénué d’humour ou d’ironie. J’ai aussi besoin d’avoir beaucoup de tendresse pour mes personnages même s’ils doivent être insupportables. Dans vos films les rôles principaux sont souvent féminins, toujours interprétés par de formidables actrices : Sandrine Kiberlain, Émilie Dequenne, Isabelle Huppert, Karin Viard, Laure Calamy…Les femmes sont-elles une plus grande source d’inspiration pour vous ?
Toute ma cinéphilie s’est construite autour des actrices et, plutôt que de citer des noms de réalisateurs qui m’auraient marqué, j’ai toujours préféré parler des actrices qui m’avaient touché dans leurs films – Catherine Deneuve dans Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau, Annie Girardot dans Cause toujours, tu m’intéresses d’Édouard Molinaro, Stéphane Audran et Isabelle Huppert dans Coup de torchon de Bertrand Tavernier… Les comédies me semblent par exemple plus drôles avec des personnages féminins – est-ce parce que les femmes ont plus de fantaisie, plus d’autodérision ? On peut se permettre d’aller loin avec elles. Ainsi, un personnage d’emmerdeur me semblera toujours plus irrésistible s’il est joué par une femme.
La série française « Dix pour cent », produite par Dominique Besnehard (Mon Voisin Productions) qui raconte la vie mouvementée d’une prestigieuse agence artistique, de ses agents et de ses talents (qui jouent leur propre rôle avec autodérision), a connu un succès d’audience considérable lors des diffusions de ses 4 saisons (de 2015 à 2020) sur France 2, et elle a été primée meilleure série comique à la 49ème cérémonie des International Emmy Awards en novembre 2021 à New York. Cette série est également accessible sur Netflix Italie sous le titre « Chiami il mio agente ». Était-ce votre première collaboration de scénariste et de réalisateur à une série télévisée, et comment s’est passé le tournage de vos épisodes ?
C’est en effet ma première collaboration à une série. Et j’ai aimé pouvoir me greffer sur un projet qui avait déjà fait ses preuves. En arrivant sur la saison 3, il y avait forcément moins de pression : le succès public et critique était déjà au rendez-vous. Il m’était important de pouvoir remanier scénaristiquement les épisodes qu’on me confiait. Je voulais pouvoir pleinement les assumer et les défendre. J’ai eu la chance aussi de pouvoir vraiment choisir les « guests » avec qui tourner. D’où Isabelle Huppert ou Sandrine Kiberlain que j’avais plaisir à retrouver mais aussi Charlotte Gainsbourg ou Sigourney Weaver que je rêvais de rencontrer. Tourner des épisodes de séries, c’est apprendre à tourner vite (11 jours de tournage par épisode d’1 heure !) et cette gymnastique m’a plu : on apprend ainsi à mieux découper, à aller à l’essentiel. Le cinéma d’ailleurs commence de plus en plus à se fabriquer dans ce même rythme…
Votre thriller « Les Apparences » (2021), se situe en Autriche, à Vienne, dans le milieu des expatriés. Votre personnage central, Karin Viard travaille à l’Institut Français et elle est mariée à un brillant chef d’orchestre interprété par Benjamin Biolay. Qu’est-ce qui vous a amené à situer votre action dans ce milieu et dans cette ville en particulier ? Savez-vous que Trieste est appelée « la petite Vienne » car c’est l’empereur d’Autriche Charles VI qui en a fait un port franc, et sa fille Marie-Thérèse d’Autriche qui a fait ériger tout un quartier : le Borgo Teresiano où est située de nos jours l’Alliance Française?
Je rêve de découvrir Trieste qui m’avait paru très cynégétique dans le film de Mathieu Amalric, Le stade de Wimbledon. Quant à Vienne, c’est une ville que j’avais visité et apprécié (pour son opulence mais aussi sa froideur, son austérité parfaite pour un thriller). J’avais aussi été très marqué par sa microscopique communauté française. Tout s’organisait autour du Lycée Français, et je trouvais cet univers très chabrolien : on se connaît, on s’observe, on se surveille aussi un peu…
Et cette année, vous nous emmenez en Grèce avec votre film « Les Cyclades », une comédie très réussie, drôle et tendre, interprétée par deux actrices géniales : Laure Calamy et Olivia Côte, avec aussi dans la distribution Kristin Scott Thomas merveilleuse dans un rôle à contre-emploi. Comment avez-vous vécu l’accueil exceptionnel réservé à votre film par le public lors de sa projection en avant-première au Festival du Film Francophone à Angoulême le 26 août dernier ?
C’était la première fois qu’il était montré à un vrai public, aux spectateurs, et c’est un film qui a été vraiment conçu pour eux, pour faire rire les gens, les émouvoir, les faire se sentir plus ragaillardis en sortant de la salle. Angoulême m’a prouvé que l’objectif était atteint. Les gens m’abordaient spontanément après pour me dire que le film leur avait fait du bien. Quel plus beau compliment ?
Que représente pour vous en tant que réalisateur le Festival du Film francophone d’Angoulême et que pensez-vous de la Francophonie ?
J’aime la diversité du festival d’Angoulême : on y voit beaucoup de films très différents mais qui à chaque fois se soucient du public. Et puis, on a accès aussi à des films de la Francophonie qui malheureusement ne sont pas toujours distribués. Pourquoi faut-il attendre Angoulême pour avoir des nouvelles du cinéma québécois ou suisse ou rwandais (pays mis à l’honneur lors de cette 15ème édition) ? Concernant la Francophonie, je trouve que pouvoir partager, grâce à une langue commune, avec des personnes de pays et de continents différents, est quelque chose qui m’enthousiasme et même me rassure sur l’avenir. La Francophonie est la possibilité d’échanges, de rencontres, de dialogues…Après je suis un peu attristé qu’un nombre limité de festivals mettent en avant les œuvres francophones. Quelles sont vos prochaines échéances et projets ?
Le 11 janvier prochain sortira en France sur les écrans mon film Les Cyclades. Et puis, je prépare une nouvelle série dans l’esprit de Dix pour cent (Dominique Besnehard est encore à la production) autour d’un mythique cabaret parisien de nos jours. On suivra les mésaventures de toute la troupe, les danseurs et danseuses bien sûr mais aussi les costumiers, ceux qui travaillent au vestiaire, en salle ou derrière les guichets. Cerise sur le gâteau, Monica Bellucci aura une très amusante partition à jouer… Je ne peux pour le moment rien dévoiler de plus…