François Motte, créateur d’évènements exceptionnels, conseil en arts de la table et en art du recevoir, auteur du livre Seconde main, 32 tables de fêtes chinées & autant de recettes qui vont avec, réalisé avec Sonia Ezgulian et Caroline Faccioli, et édité chez La Maison Hachette Pratique. Entretien réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe.
C’est en découvrant ce beau livre paru en octobre dernier (déjà en cours de réédition) que j’ai eu envie de faire cet entretien pour l’Alliance Française de Trieste afin de partager la belle aventure professionnelle, artistique et culinaire de son auteur, François Motte. J’ai eu le plaisir de collaborer avec François Motte quand, pour le Ministère de la Culture, j’organisais les réceptions de la Fête du cinéma qui réunissait chaque année plus de 2000 professionnels de l’art et de l’industrie cinématographiques dans les jardins du Palais Royal à Paris. François Motte était le directeur artistique d’un grand traiteur parisien, et au fil de nos collaborations j’ai apprécié son savoir-faire, son goût, son talent, et tout de suite nous avons tissé des liens qui de professionnels sont devenus amicaux. Et je suis particulièrement heureuse de vous présenter son parcours à l’occasion de la sortie de cet ouvrage.
Ce livre Seconde main, 32 tables de fêtes chinées & autant de recettes qui vont avec, magnifiquement illustré, est une véritable déclaration d’amour à la cuisine, sublimée par des tables de fêtes dressées avec des objets chinés, souvent détournés avec beaucoup de créativité, de leur vocation première. Il casse les codes traditionnels des arts de la table en mettant en valeur de la vaisselle dépareillée avec des objets de récupération qui retrouvent une nouvelle vie, d’où son titre Seconde main.
D’où vient votre passion de la cuisine, du bien manger ?
De l’enfance. J’ai eu la chance d’avoir une mère qui cuisinait bien et un père qui nous emmenait dans de très bons restaurants. Nous habitions à une soixantaine de kilomètres de Paris et y allions une ou deux fois par mois. Parmi les « cantines familiales », il y avait le Dodin-Bouffant, de Jacques Manière, chef phare de la « nouvelle cuisine française ». On y dégustait une salade folle à base de queues d’écrevisses, de foie gras, de champignons crus et d’haricots verts, une recette tout à fait novatrice pour l’époque. Le restaurant était à deux pas de la résidence privée du Président François Mitterrand et c’était une de ses cantines. Un restaurant très « gauche caviar », merveilleux pour l’enfant que j’étais tant par la gastronomie que par le spectacle en salle. Il y avait aussi le Vivarois, le restaurant trois étoiles de Claude Peyrot, avenue Victor Hugo dans le XVIème arrondissement de Paris. J’ai oublié ce que l’on y mangeait mais je conserve un souvenir très précis du mobilier Knoll et des toiles de Vasarely aux murs. Un décor très seventies. En revanche, je n’ai pas oublié la fameuse purée de pommes de terre de Joël Robuchon au Jamin, mes premières fleurs de courgettes chez Jacques Maximin au Negresco à Nice, ou mon déjeuner d’anniversaire pour mes dix ans au Pré Catelan avec Gaston Lenôtre faisant le tour des tables en fin de service. Pas étonnant qu’avec tout cela dès mon plus jeune âge, j’ai voulu être cuisinier, fasciné que j’étais par cet univers vu à hauteur d’enfant.
Racontez-nous votre parcours professionnel, avez-vous réalisé votre rêve de devenir cuisinier ?
Récemment, j’ai changé de statut, passant de salarié à entrepreneur. L’occasion d’un bilan de compétence durant lequel ma coach-psy m’a demandé ce que je voulais faire quand j’étais petit. « Cuisinier ou chef d’orchestre », ai-je répondu. « Et ? … », m’a-t-elle demandé. En un instant, j’ai réalisé que sans avoir été cuisinier ni chef d’orchestre, j’avais réalisé mes deux rêves en travaillant avec des chefs sur des évènements où j’étais amené à diriger des dizaines de personnes issues parfois de nombreux métiers pour mettre en scène des fêtes uniques.
En fait, enfant, j’étais un excellent élève à l’école et dans les années 1970/80, on ne faisait pas l’école hôtelière si l’on était bon en mathématiques ou en français. Il n’y avait pas ce formidable engouement pour les métiers de bouche dû à toutes ces émissions de télé-cuisine-réalité qui les ont médiatisés. J’ai donc fait un bac C, des classes préparatoires à Paris puis des études d’économie et de sociologie à la Sorbonne. J’ai travaillé ensuite pour les Nations Unies à Vienne et New York avant de me dire que ce que je voulais vraiment, c’était travailler dans les métiers de l’hospitalité. Et là, avec un bac + 5, impossible d’entrer à l’époque dans ce milieu où chacun avait commencé à 15 ans en épluchant des carottes.
Les études dans les écoles hôtelières suisses étaient trop chères et trop longues mais venait d’ouvrir l’École de Management Hôtelier de Savignac dans le Périgord avec un cursus court. J’y suis entré avec l’idée de travailler dans l’hôtellerie de luxe et au fil des stages, j’en suis ressorti avec le souhait de travailler dans le monde du traiteur.
J’ai commencé chez YES Réceptions, une petite structure qui dans les années 90 révolutionnait le métier. Yafa, la patronne, imaginait des cocktails sans pain. Adieux canapés et pains surprises. D’origine juive marocaine, elle avait vécu en Californie, forgeant là-bas sa légende et elle jouait l’exotisme des cinq continents dans ses menus. On découvrait alors le vinaigre balsamique en France, ça semble totalement fou ! Elle « castait » aussi les serveurs et nappait les buffets d’un lin lourd ce qui changeait du damassé blanc. Son succès a amené tous les traiteurs parisiens à évoluer. Là, j’ai acquis un œil et appris le sens du produit dans une ambiance familiale hystérique et amicale extraordinaire.
Je suis ensuite parti chez Saint Clair, qui avait été créé par François Clair, un chef étoilé. Si Yafa donnait une nouvelle dimension aux cocktails, François Clair apportait dans les repas assis l’esthétique et le raffinement de la cuisine de restaurant. Là, j’ai appris la gestion opérationnelle et financière des projets et continué à travailler comme chez Yafa, pour le monde de la mode, de la beauté, des médias et de la culture. C’est à cette époque que nous nous sommes rencontrés, chère Milvia, et avons collaboré à l’organisation de ces grandes manifestations annuelles en plein air qui chaque mois de juin, à l’occasion de la Fête du cinéma, réunissaient toute la profession et qui étaient, qu’il fasse beau ou qu’il pleuve, c’est arrivé, de beaux moments de convivialité.
J’ai ensuite passé huit années chez Dalloyau et nous avons œuvré avec quelques camarades à apporter de la modernité à cette vieille maison parisienne. Je suis ensuite parti chez Lenôtre, une extraordinaire maison au savoir-faire unique à l’époque où j’ai été directeur des grands évènements avant que l’on ne me confie la direction de la création pour les activités évènementielles et pour les produits médiatiques boutiques. J’avoue que je me suis bien amusé à imaginer avec des artistes et des artisans : bûches et galettes, ainsi que tout l’univers qui allait avec. Puis est arrivé le Covid et avec lui le moment de passer à autre chose.
Donc, pour répondre à votre question, non je ne suis pas devenu cuisinier mais j’ai travaillé avec tant d’entre eux, étoilés ou non, médiatiques ou petites mains de l’ombre, que ce n’en a été que mieux.
Comment est née l’idée de ce livre « Seconde main » qui conjugue votre amour de la cuisine et des objets chinés, et qui révèle votre talent de « metteur en scène » ?
Seconde Main est né de mes visites chez Emmaüs en Normandie avec une amie qui ne souhaitait meubler sa toute nouvelle maison de campagne, qu’avec des choses d’occasion. J’ai commencé alors à acheter de la vaisselle, des choses jolies, d’autres étranges ou carrément moches. Mon amie elle, achetait beaucoup de linge de table, des serviettes monogrammées, des draps en lin. Et le week-end, je m’amusais à mélanger tout cela.
Puis est venu le Covid. Pour occuper le temps, chacun a commencé à ranger ses placards, à retrouver des objets de table oubliés, voire jamais utilisés, à se demander « si l’on gardait ou si l’on jetait ». Et on a surtout pris trois repas par jour, sept jours sur sept en famille, une chose qui n’était jamais arrivée à une telle échelle. Il a fallu faire de ces moments des instants de bonheur et les arts de la table autant que la gastronomie y ont contribué. Les ventes d’arts de la table en ligne ont ainsi explosé à cette époque.
Ce livre repose sur l’idée que tout à table est prétexte à célébration, tant les fêtes calendaires que des fiançailles, une rupture amoureuse que l’on fête entre copines, ou la sortie de la nouvelle saison de The Crown que l’on regarde en célibataire avec un délicieux plateau repas anglais. Tout cela avec de la vaisselle vintage souvent chinée pour quelques euros.
Pourquoi ce choix de présenter 32 tables de fêtes ? Quelles histoires racontent-elles ?
Ce sont 32 tables au fil de l’année, de l’hiver à l’automne. Elles racontent des moments de vie et s’incarnent autour de personnages que je connais tous personnellement, sauf « Emmanuel et Brigitte », qui le soir du 14 juillet, épuisés par cette journée protocolaire, se retrouvent en tête à tête dans la cuisine du Palais de l’Élysée pour déguster « un cordon bleu blanc rouge », réinterprétation par Sonia Ezgulian du plat soi-disant préféré de notre président de la République. Ces 32 tables s’incarnent dans 32 histoires, chacun, chacune, peut s’y retrouver.
D’où viennent les objets, les ustensiles de cuisine, la vaisselle, avec lesquels les tables ont été dressées ?
Comme je vous l’ai dit, beaucoup de ces objets viennent de chez Emmaüs. C’est la base première avec laquelle j’ai commencé à composer mes tables, aussi fortes visuellement que possible, à imaginer les histoires qui allaient avec, et à les répartir au fil de l’année. Huit tables par saison.
Il a fallu ensuite trouver une multitude d’accessoires que j’ai dénichés dans mes placards familiaux, chez quelques amis chineurs et collectionneurs et surtout en ligne, principalement sur le site eBay qui est un outil très efficace quand vous cherchez un objet aussi précis qu’une assiette à soupe blanche à rayures jaunes pour servir le stylisme d’une histoire de bouillabaisse marseillaise. Enfin, j’ai emprunté quelques objets rares, au Bain Marie, caverne d’Ali Baba parisienne de vaisselle ancienne ou chez Cécile et Octavie, de La Maison du Bac à Paris, qui proposent des objets anciens (mais pas que) chics et raffinés.
Quels sont les objets les plus insolites que vous avez chinés et qui sont présents sur vos 32 tables ?
Il y a le coquillor, qui est un accessoire de table qui permet de faire des coquilles de beurre. Sonia Ezgulian ne le connaissait pas et s’est bien amusée avec. Beaucoup d’amis m’ont dit à la suite de la lecture du livre qu’il y en avait un chez leurs parents et certains sont même allés le rechercher au fond des placards familiaux et l’on fait découvrir à leurs enfants.
Je tente aussi de réhabiliter le mazagran, un récipient en faïence de forme conique et à pied bas pour boire le café. Il est né au XIXème siècle de l’habitude prise par les soldats français à la bataille de Mazagran, en Algérie, de boire leur café allongé d’eau et il est tombé aujourd’hui en désuétude. Mais dans les années 1970, il y en avait dans toutes les familles.
J’évoque 32 objets, qui ne sont pas forcément insolites, mais pour lesquels j’ai souvent une grande affection : le porte-couteau, si joli objet de table, le ramasse-miettes, le verre Duralex, souvenir de cantine de tant de petits Français, l’ultra-chic porcelaine de Minton ou le caquelon à fondue dont j’aime l’épure scandinave de certains modèles émaillés.
Racontez-nous votre collaboration sur ce projet avec la cuisinière Sonia Ezgulian et la photographe Caroline Faccioli.
J’aimais le travail de Sonia Ezgulian et ses livres depuis longtemps. Elle a été une des premières à cuisiner les épluchures ou les restes et elle est comme elle le dit, « une cuisinière de petits riens qui changent le quotidien en joyeux festins ». Regardez sa page Instagram et vous comprendrez. Sonia est pleine d’imagination, de fantaisie, et elle trouve toujours le détail qui twiste la recette. Découvrez ses « bento TGV » qu’elle se confectionne chaque fois qu’elle quitte Lyon pour venir à Paris et vous n’aurez qu’une envie, celle de voyager avec elle.
Je voulais pour le livre une cuisinière et pas une cheffe, quelqu’un capable d’entendre ces 32 histoires que je racontais et d’imaginer ce que mes héros cuisineraient dans telles circonstances pour tels convives, dans tel plat, pour le servir dans telle assiette. Et Sonia, qui sait s’amuser des contraintes, s’est révélée la personne parfaite et s’est admirablement pliée au jeu.
C’était cependant un challenge pour elle puisque nous n’avions jamais travaillé ensemble et ne nous sommes véritablement rencontrés que lors des premières prises de vue. Le shooting se déroulait à Paris dans un atelier sans cuisine plutôt que dans sa cuisine à Lyon, et le photographe n’était pas Emmanuel Auger, son mari, avec qui elle travaille habituellement. En dépit de tout cela, le travail sur ce livre n’a été en définitive que bonheur et amusement.
Sonia Ezgulian et Caroline Faccioli se sont entendues à merveille. Caroline est une « vieille complice » que j’ai connue lorsque je travaillais en tant que directeur artistique chez Lenôtre, le grand traiteur parisien. Elle a photographié quelques livres pour cette Maison et nous avons ensemble beaucoup travaillé sur les produits évènementiels pour le département réceptions et sur les produits des fêtes de fin d’année dont j’imaginais les univers. Caroline saisit les angles de prises de vue avec une incroyable rapidité et elle est sans cesse force de proposition.
Comment s’est fait le choix des recettes présentées ? Sont-elles toutes des créations originales ? Quelles ont été les sources d’inspiration de Sonia Ezgulian ?
Tout cela s’est fait très vite. Comme déjà évoqué, j’ai raconté à Sonia mes 32 histoires de table et elle a imaginé les 32 recettes presque toutes originales qui vont avec. Elle m’a envoyé sa liste de recettes deux ou trois semaines plus tard, nous avons fait quelques ajustements et c’était décidé !
Sonia a l’habitude de ce genre de travail de commande sous contrainte, ça ne l’empêche pas de s’en amuser, bien au contraire, et je crois que l’on ressent à travers ses recettes joyeuses et parfois impertinentes tout le plaisir qu’elle a pris à participer à l’aventure de Seconde Main.
Non seulement les histoires de personnes l’ont inspirée, je pense à la recette de harengs péteurs et condiments flatulents, imaginée pour une cousinade qui s’annonce particulièrement ennuyeuse et qu’il va falloir animer, ou à cet aïoli fédérateur servi lors de fiançailles réunissant deux familles de conditions sociales bien différentes, mais aussi les objets choisis.
Pour un dîner de Noël en tête-à-tête où la table n’est que verre moulé et cristal taillé reflétant la lumière, Sonia a eu envie d’un aspic translucide façon Bollywood. Et pour d’amusantes soupières en forme de poissons aux yeux globuleux, elle a pensé à une pêche aux raviolis à l’épuisette.
Dans Seconde Main, la fête est dans les arts de la table mais aussi dans la gastronomie, souvent ludique et en vérité, très simple.
Combien de temps a duré la réalisation des 32 tables et comment se sont organisées les prises de vues ?
J’ai commencé à accumuler de la vaisselle fin 2020. Le livre a peu à peu pris forme dans ma tête, sur le papier et dans des caisses thématiques pour chacune des 32 tables. En mai 2021, nous avons photographié à la campagne quatre des histoires avec Caroline Faccioli pour une prémaquette et en juillet, Sonia Ezgulian m’a donné son accord de principe. En septembre, j’ai commencé à rencontrer des éditeurs et le troisième, Hachette, m’a dit oui en octobre.
En février 2022, nous avons photographié 16 tables, celles de l’automne et de l’hiver à l’atelier Lardeur, un endroit magique, ancien atelier de vitrailliste, au cœur du VIIème arrondissement de Paris. Marianne Guédin, une fleuriste espiègle de grand talent qui travaille essentiellement pour l’évènementiel et la mode a rejoint l’aventure, imaginant les compositions florales qui compléteraient au mieux arts de la table et recettes, avec pour seul brief de composer des bouquets de saison, simples et comme cueillis dans le jardin.
Nous avions prévu quatre jours de photos, il y avait près de 150 photos à faire, entre les tables, les recettes et les objets, et nous avons bouclé le tout en deux jours et demi. Mais j’avais tout organisé en amont de façon très précise et il y avait toujours 3 ou 4 tables prêtes à être photographiées. Nous avons recommencé en mai, pour les tables printemps et été, avec la même efficacité.
Écriture des derniers textes et des recettes, retouches des photos, corrections, il fallait avoir tout bouclé pour partir en vacances le 14 juillet et pouvoir sortir le livre début octobre 2022. Nous n‘avons eu qu’une semaine de retard sur le planning.
Y-aura-t-il une suite à cet ouvrage ? Avez-vous d’autres projets ?
Le livre est plutôt un succès. Grâce au réseau de Sonia Ezgulian et à Hachette, la presse papier, les médias radio et télévision ont été extraordinaires. Les 6000 premiers exemplaires sont presque écoulés, le livre va être réédité.
Si suite il y a, ce ne seront pas 32 nouvelles tables de fêtes sur le même schéma. J’ai quelques idées mais Seconde Main a été un livre assez lourd à réaliser et je souhaite me consacrer pendant quelques mois à développer ma société Bureau FM, avec laquelle j’organise des évènements sur-mesure pour des entreprises, des particuliers, et je fais du conseil notamment en arts de la table.
Ainsi, je viens de réaliser à Paris le dîner de lancement du Harper’s Bazaar France à l’École des beaux-arts, cent convives sur une table unique en collaboration avec l’artiste graphique Julie Safirstein et la fleuriste Marianne Guédin et je débute par ailleurs une mission pour une des plus grandes cristalleries françaises. Je dois imaginer ses tables de fêtes lorsqu’elle reçoit ses clients ou la presse à travers le monde.
Mais la conception, la fabrication et la sortie d’un livre sont des moments trop excitants pour ne pas avoir hâte de recommencer.
Entretien mars 2023.