Entretien avec Émilie Dequenne, actrice belge … par Milvia Pandiani-Lacombe
Du mois de mars 2020 jusqu’à la fin de l’année, la Francophonie* fête son cinquantenaire, et pour le célébrer nous avons souhaité mener un entretien avec la magnifique actrice Émilie Dequenne qui incarne la Francophonie par excellence et avec excellence!
De nationalité Belge, elle tourne avec les plus importants réalisateurs francophones qui mettent en valeur sa formidable capacité à s’emparer des rôles avec vérité et sensibilité.
Émilie Dequenne revient pour l’Alliance Française de Trieste sur ce parcours artistique exceptionnel, riche en diversité, qui conjugue avec réussite : cinéma, télévision et théâtre.
En octobre dernier le Centre de Wallonie-Bruxelles à Paris célébrait (déjà) vos 20 ans de cinéma en vous consacrant un cycle «Pleins feux». Racontez-nous vos débuts, et dites-nous quel regard vous portez sur votre parcours artistique.
Oui 20 ans! 20 ans que Rosetta a reçu la Palme d’Or, et moi le prix d’interprétation! 22 ans cette année que je découvrais un plateau de tournage grâce aux Frères Dardenne… J’ai toujours souhaité faire ce métier, mais j’étais loin de me douter que cela irait aussi vite. En effet, mes parents m’emmenaient au théâtre une à deux fois par an voir des troupes d’amateurs, et ce fut pour moi un véritable déclic. J’ai eu immédiatement envie de jouer. Me déguiser et jouer des émotions qui n’étaient pas les miennes.
Très vite, mes parents l’ont compris et m’ont inscrite à l’Académie de Musique et Arts de la Parole de Baudour en Belgique, où je suivais des cours de diction et de déclamation, et plus tard d’art dramatique, j’ai fini par rejoindre la troupe de théâtre amateur que j’applaudissais plus jeune.
À 12 ans, j’avais 10 heures d’activités théâtrales hebdomadaires en dehors de l’école. Puis c’est à 16 ans, lorsque j’étais en terminale (ou plutôt en rhéto comme on dit en Belgique) que ma tante m’a informée de l’annonce publiée par Les Frères Dardenne à la recherche de leur personnage de Rosetta… La suite vous la connaissez! Même si j’ai plutôt tendance à regarder vers l’avant, si je me retourne sur mon parcours, je m’estime chanceuse.
D’avoir débuté avec les Frères Dardenne, cela vous estampille d’une sorte de label qualité qui vous permet de choisir. Jusqu’ici, j’ai le bonheur d’avoir participé à des projets que j’ai choisis.
Et ça, c’est merveilleux. Pourvu que ça dure!
Votre filmographie est marquée par des collaborations avec les plus grands réalisateurs et votre talent a été récompensé par des prix prestigieux comme : le prix d’interprétation pour le film «Rosetta», Palme d’or au Festival de Cannes; trois Magritte (le Magritte est la récompense du cinéma belge francophone), pour la meilleure actrice en 2013 dans «A perdre la raison» de Joachim Lafosse, en 2015 dans «Pas son genre» et en 2018 dans «Chez nous», deux films de Lucas Belvaux; comment choisissez-vous les rôles qui vous sont proposés? Aimez-vous particulièrement un genre cinématographique?
J’ai même reçu un autre prix d’interprétation à Cannes en 2012 dans la compétition Un certain regard pour À perdre la raison de Joachim Lafosse, c’est bête mais j’y tiens énormément, car si vous vous souvenez, lorsque j’avais reçu mon prix en 1999 pour Rosetta, cela n’avait pas ravi tout le monde… J’ai lu une interview de David Cronenberg qui présentait son film Cosmopolis à Cannes, à ce moment-là, et qui était président du jury en 1999. Il lui avait été demandé son pire souvenir… Il confiera au journaliste qu’il avait souffert des critiques concernant son palmarès qui récompensait Rosetta, et qu’il était heureux de revenir sur la croisette 13 ans plus tard où il n’entendait parler que de mon interprétation dans le film de Joachim Lafosse!
Et ça, je peux vous dire que ça vaut tous les prix du monde!
Je serais bien incapable de décrire ce qui me pousse à choisir un film… C’est émotionnel. Je déteste classer les films par genre, car les cases nous privent de liberté, de curiosité, et de possibilités! J’ai toujours choisi des scénarios sur lesquels je n’ai aucun doute. Donner vie à un personnage, c’est s’engager à 100%, pas de place pour la moindre hésitation. Mais surtout, il faut que ça me touche. Que ça ne me laisse pas indemne. Comme les films que j’aime en somme.
Avez-vous des modèles ou des personnalités qui vous ont inspirée ou qui vous inspirent dans votre expression artistique?
Oui, mais ces modèles changent en fonction des films ou des périodes de la vie. Ce sont souvent des personnages de film, de série, de littérature… Mais aussi parfois des ami(e)s, des membres de ma famille… Toute nourriture est bonne à prendre pour faire vivre un personnage! La vie est très inspirante. La musique aussi suscite d’incroyables d’émotions.
Vous étiez il y a peu la Marraine du festival du Film Francophone d’Angoulême à Brides-Les-Bains, que signifie pour vous la Francophonie et plus précisément la culture francophone?
Pour être honnête, au-delà de l’amour que j’éprouve pour cette langue et la beauté des œuvres qu’elle a générées, je ne sais pas. Une envie de la protéger peut-être?
J’ai tendance à détester les cases, les groupes, les genres ou encore les «nations» et à prôner l’universalité… Cependant, la francophonie est précieuse. Déjà, elle dispose d’une diversité culturelle immense, de par son implantation aux quatre coins du monde. Il suffit de comparer un film français à un film belge puis à un film québécois, etc… Pourquoi sont-ils si différents? Je ne saurais dire, et pourtant je le ressens. C’est comme ça.
Et puis surtout, c’est ma langue, je la chéris plus que tout. Elle est mon moyen d’expression le plus juste! Jouer la comédie dans une autre langue que ma langue maternelle relève du défi pour moi, voire de la souffrance!
Votre dernier film «Je ne rêve que de vous» de Laurent Heymann, produit par Nelly Kafsky, dans lequel vous incarnez le personnage de Renée, la bru de Léon Blum, est sorti sur les écrans français le 23 août 2019, quels sont vos prochains projets?
Bientôt sur la chaîne M6 vous pourrez découvrir une mini-série de 4 épisodes réalisée par Pierre Aknine où je joue une hackeuse obnubilée par «Un homme ordinaire», interprété par Arnaud Ducret. Il s’agit là de la très libre adaptation de l’affaire Dupont de Ligonnès…
Et bientôt au cinéma, car j’ai eu la chance de participer au tournage du film d’Emmanuel Mouret Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, avec Camélia Jordana, Niels Schneider et Vincent Macaigne.
Au moment de cet entretien j’aurais dû être en préparation du long-métrage de Christine Dory (réalisatrice du film Les Invisibles), mais pour l’instant nos vies sont en suspens…
* “Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française », aimait à répéter le poète Léopold Sédar Senghor, ancien président du Sénégal.
Une formule qui reflète la philosophie des pères fondateurs de la Francophonie institutionnelle – Senghor et ses homologues tunisien, Habib Bourguiba et nigérien, Hamani Diori, ainsi que le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge – et qui consiste à mettre à profit le français au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples par le dialogue des civilisations.
C’est là tout l’objet de la signature à Niamey, le 20 mars 1970, par les représentants de 21 États et gouvernements, de la Convention portant création de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) : une organisation intergouvernementale fondée autour du partage d’une langue commune, le français, chargée de promouvoir et de diffuser les cultures de ses membres et d’intensifier la coopération culturelle et technique entre eux. Le projet francophone a sans cesse évolué depuis la création de l’ACCT devenue, en 1998, l’Agence intergouvernementale de la Francophonie et, en 2005, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Avec l’ACCT, la coopération s’engage dans les domaines de la culture et de l’éducation
Partenaire depuis le début des années 1970 du Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ougadougou (Burkina Faso), l’Agence crée en 1988 son Fonds Images qui aura aidé, à ce jour, à la réalisation de milliers d’œuvres de cinéma et de télévision.
En 1986 est inauguré le premier des Centres de lecture et d’animation culturelle – Clac – qui offrent aux populations des zones rurales et des quartiers défavorisés un accès aux livres et à la culture. On en dénombre aujourd’hui plus de 300, répartis dans une vingtaine de pays.
En 1993, le premier MASA, Marché des arts du spectacle africain, est organisé à Abidjan (Côte d’Ivoire). Parallèlement, un programme d’appui à la circulation des artistes et de leurs œuvres, dédié aux créations d’arts vivants et visuels, est lancé. En 2001, l’Agence crée un nouveau prix littéraire, le Prix des cinq continents de la Francophonie, qui consacre chaque année un roman de langue française. De grands noms de la littérature francophone s’engagent à ses côtés : Jean-Marie Gustave Le Clésio, René de Obaldia, Vénus Khoury Ghatta, Lionel Trouillot font notamment partie du Jury.
Dans les années 1970 et 1980, les réseaux francophones s’organisent. Un Conseil international des radios télévisions d’expression française (CIRTEF) est créé en 1978. Composé aujourd’hui de 44 chaînes de radiodiffusion et de télévision utilisant entièrement ou partiellement la langue française, il développe la coopération entre elles, par l’échange d’émissions, la coproduction et la formation des professionnels. En 1979, à l’initiative de Jacques Chirac, maire de Paris, les maires des capitales et métropoles partiellement ou entièrement francophones créent leur réseau : l’Association internationale des maires francophones (AIMF) deviendra, en 1995, un opérateur de la Francophonie.
En 1984, la chaîne de télévision francophone TV5 naît de l’alliance de cinq chaînes de télévision publiques : TF1, Antenne 2 et FR3 pour la France, la RTBF pour la Communauté française de Belgique et la TSR pour la Suisse; rejointes en 1986 par le Consortium de Télévisions publiques Québec Canada. TV5Afrique et TV5 Amérique Latine voient le jour en 1992, suivies par TV5Asie en 1996, puis de TV5Etats-Unis et TV5Moyen-Orient en 1998. La chaîne, dénommée TV5MONDE depuis 2001, compte aujourd’hui 7 chaînes de télévision et TV5 Québec-Canada. Reçue dans plus de 300 millions de foyers de par le monde, elle constitue le principal vecteur de la Francophonie : la langue française, dans la diversité de ses expressions et des cultures qu’elle porte.
Extrait du site : www.francophonie.org