Entretien avec Véronique Le Bris
Entretien avec Véronique Le Bris, fondatrice de Cine-Woman.fr et du prix Alice Guy. Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe
Véronique Le Bris est une journaliste reconnue, spécialisée dans le secteur du Cinéma, de la Culture, et engagée en faveur de l’égalité Homme-Femme.
En 2011 elle fonde Cine-Woman.fr le premier webmagazine entièrement dédié aux Femmes et au cinéma, dont elle assure la rédaction en chef, et elle crée le prix Alice Guy qui récompense le meilleur film d’une réalisatrice du cinéma français.
Qu’est-ce qui a été déterminant dans votre engagement en faveur de l’égalité Homme-Femme ?
Avant de créer Cine-Woman et le Prix Alice Guy, j’ai dirigé la rédaction du magazine de cinéma « Première ». J’avais été embauchée avec comme mission d’en féminiser la cible. J’avais alors pris le sujet au sérieux en voulant établir un état des lieux de la place des femmes dans le cinéma, mais je n’avais trouvé aucune étude pour m’aider sur le sujet. Enfin si, j’avais, dans une étude du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), découvert une seule donnée : que le public de cinéma était plus féminin que masculin, surtout pour le cinéma d’auteur.
J’ai regretté qu’aucun média, qu’aucune campagne de marketing ne s’adresse spécifiquement aux femmes. J’ai cherché à savoir pourquoi en interviewant des distributeurs, des spécialistes... et j’ai alors décidé de créer ce média puisqu’il n’existait pas. En creusant j’ai compris qu’il y avait un vrai sujet et que ça ne pourrait pas continuer en le niant de la sorte. La suite des événements m’a donné raison !
Quelle est la représentation actuelle des Femmes dans les métiers du Cinéma français mais aussi dans les sélections des principaux festivals français et de leurs instances ?
Cette représentation est défavorable aux femmes. La puissance, la notoriété et la beauté des actrices masquent une situation très inégalitaire. Parce qu’elles occupent les écrans de cinéma ou des médias, on n’imagine pas qu’en France, seulement 23% des films sont réalisés par des femmes et que c’est pourtant un record par rapport aux autres pays. Aux États-Unis, par exemple il n’y en a que 5% !
Ce qui signifie que si vous êtes une femme et que vous voulez faire du cinéma – ce qui est dans le domaine du possible puisque les écoles de cinéma ont autant d’élèves fille que garçon – cela va cependant être compliqué de choisir votre métier. Les filles sont plus souvent monteuses, scriptes, maquilleuses ou coiffeuses, actrices mais pas tellement réalisatrices, cheffes op ou ingénieures du son. C’est un problème dans un monde qui se dit égalitaire. Et en plus vous serez moins bien payée d’environ 30% !
Or cela pose question car le cinéma est une représentation du monde, et si cette représentation n’est pas diverse, elle ne montre qu’une partie du monde. Voilà pourquoi il nous faut des femmes scénaristes, réalisatrices, qui doivent être honorées, et leurs films sélectionnés, projetés dans les festivals pour que le monde continue à marcher sur deux jambes !
On s’est aussi aperçu que si les femmes étaient présentes dans les instances de direction, de sélection, les projets aidés et montrés étaient plus variés. C’est toujours malsain quand un même type de personnes décide de tout, parce qu’elles finissent par avoir les mêmes goûts et les mêmes connaissances. Voilà pourquoi il est sain de mixer les centres de décision et de pouvoir, et de les renouveler régulièrement.
C’est ce qu’a commencé à faire avec beaucoup d’efficacité le Collectif 50/50 qui a mis en place une charte pour la parité et la diversité en 2020 dans les festivals de cinéma, d’audiovisuel et de l’image animée, et dont je suis les avancées avec grand intérêt.
Pourquoi avoir décidé de fonder le site Cine-Woman.fr et quelle est sa vocation ?
Je l’ai un peu expliqué plus haut. J’ajoute que je ne me reconnaissais pas dans la presse féminine. J’avais envie d’un média qui traite le sujet sérieusement. J’avais aussi envie de me former aux métiers du web. La première version du site, je l’ai conçue toute seule, même la partie informatique. Ça a été très formateur de mettre les mains dans le code ! Mais, je reconnais que c’est très chronophage et difficile d’avoir un écho suffisant pour gagner ne serait-ce qu’un peu d’argent avec.
La vocation de Cine-Woman est de ne parler que de cinéma et d’un point de vue féminin. La critique est un milieu très masculin et si vous n’en acceptez pas les codes, c’est très difficile de se faire entendre. Au moins, il y a Cine-Woman.fr qui est un autre espace, une autre manière de voir et qui met en valeur des femmes, des films différents…
Que signifie le label #Sexismepasnotregenre ?
En 2017, Laurence Rossignol qui était alors Ministre des droits des femmes a lancé un vaste programme qui visait à faire remonter tout un tas d’initiatives locales ou nationales qui œuvraient à leur manière et dans tous les domaines à réduire le sexisme.
J’y avais participé avec Cine-Woman qui a été élu dans la catégorie « numérique/internet » comme l’initiative la plus innovante sur le sujet. Cine-Woman a obtenu ce label de la part du gouvernement de l’époque. C’est une belle et première reconnaissance.
Vous êtes également à l’initiative de la création récente du Prix Alice Guy, la pionnière des réalisatrices françaises. Dites-nous en plus sur ce prix dont c’est la troisième édition, et ses modalités d’attribution.
Quand j’ai créé ce Prix Alice Guy, j’avais deux objectifs : le premier était de réhabiliter Alice Guy, cette pionnière incroyable, qui a compris avant tout le monde et même avant les frères Lumières que l’avenir du cinéma ne serait pas le documentaire mais la fiction.
Quand elle assiste à la toute première projection de films au monde en mars 1895 en tant que secrétaire de Léon Gaumont, elle comprend qu’on peut faire plus fort que La sortie des Usines Lumière et filme en mars 1896 une fée qui cueille des bébés dans des choux (La fée aux choux). Elle a dirigé la prise de vue chez Gaumont de 1896 à 1906, puis est partie aux Etats-Unis où elle a créé le plus grand studio de production du monde (plus grand que celui créé par le réalisateur D. W. Griffith) et y a tourné plus de 1000 films entre 1907 et 1917 ! Pas mal de ses films – presqu’une centaine au total – ont été retrouvés mais personne ne les connaît et ne les voit jamais, parce que les historiens du cinéma dans les années 1950 ont gommé son nom et son apport. Ses films sont « top », très drôles, très intelligents et plutôt féministes !
Mon idée était donc de créer un évènement récurrent - un peu comme les Goncourt dont on aurait sans doute oublié le nom sans leur prix - pour qu’on parle d’Alice Guy chaque année.
Et comme les réalisatrices d’aujourd’hui manquent elles aussi de visibilité et sont absentes des grands palmarès - pour mémoire : un seul Oscar de meilleure cinéaste pour Kathryn Bigelow en 92 ans et un seul Oscar d’honneur remis à Agnès Varda en 2017, une demie Palme d’or pour Jane Campion (car partagée avec le réalisateur Chen Kaige) en 72 éditions, un seul César de meilleure réalisatrice attribué à Tonie Marshall en 43 éditions - j’ai pensé qu’il fallait leur consacrer un prix à elles et à elles seules, et qui s’inscrive dans la mémoire de la pionnière des pionnières. Voilà pourquoi il s’appelle « Prix Alice Guy ».
Nous n’avons pas d’Académie comme aux César ou aux Oscars, mais internet est un outil génial puisqu’il permet à tous ceux qui le veulent de voter. Chaque année entre le 15 décembre et 15 janvier, nous ouvrons donc un vote à tout le monde sur le web.
Tous les films réalisés par des femmes, à financement majoritairement français et sortis dans une salle de cinéma dans l’année sont éligibles. Les cinq qui obtiennent le plus de votes sont ensuite soumis à un jury de professionnels du cinéma, qui change chaque année et qui est strictement paritaire (3 hommes / 3 femmes).
Papicha de Mounia Meddour vient de remporter le 3e Prix Alice Guy 2020, le jeudi 20 février 2020. Nous allons alors organiser une soirée de remise de prix au cinéma Max Linder, fin mars, où nous allons présenter le travail d’Alice Guy pendant une demi-heure environ en diffusant quelques-uns de ses films, c’est une occasion unique de voir ses films sur le plus bel écran de Paris !
Ensuite, notre jury 2020 composé de la réalisatrice Catherine Corsini, de l’actrice et productrice Julie Gayet, de la productrice Marianne Slot, du réalisateur Yann Arthus-Bertrand, du journaliste Jordan Minzter (Hollywood Reporter, Variety) et du spécialiste du sous-titrage Emmanuel Denizot (qui organise une reprise du Prix Alice Guy à la Rochelle !) remettront son prix à la réalisatrice Mounia Meddour et à son équipe, et son film Papicha sera projeté sur ce magnifique écran parisien.
Les Femmes sont également mises à l’honneur dans les deux ouvrages dont vous êtes l’auteure : « 50 femmes de cinéma » éditions Marest et « Fashion et cinéma » éditions des Cahiers du cinéma. Avez-vous un autre ouvrage en cours sur ce thème ?
Oui, toujours sur le même thème début avril 2020 sortira chez Arte Editions une sorte de guide : 100 films de réalisatrices (films à voir absolument). De La fée aux choux à Wonderwoman.
C’est un tour d’horizon de grands films de réalisatrices dans toute l’histoire du cinéma et dans tous les pays… A ma connaissance, ça n’existait pas et ça manquait !
Je me suis régalée à l’écrire ! Dans cet ouvrage figurent des réalisatrices italiennes : Elvira Notari, Liliana Cavani, Lina Wertmüller, entre autres.
Je vous invite à le lire à sa parution !