Entretien avec Tonie Marshall
Entretien avec Tonie Marshall, réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe
L’Alliance française de Trieste va à la rencontre de personnalités du monde culturel, des médias, de l’institutionnel, afin de vous faire partager leur actualité, leurs actions, leurs projets.
Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe, Conseillère Culturelle de l’Alliance française de Trieste.
Actrice scénariste, réalisatrice, productrice, Tonie Marshall a un parcours artistique riche d’expériences au cinéma, au théâtre, à la télévision. C’est une personnalité reconnue et engagée, dans le cinéma français. Elle est membre du Comité exécutif d’Unifrance1, l’organisme chargé de la promotion du cinéma français dans le monde.
Votre mère, la grande actrice Micheline Presle2, a-t-elle influencé votre parcours artistique ?
Ma mère était une actrice mais aussi et je dirais surtout une cinéphile. Bien plus que sa carrière, qui lorsque j’étais petite ne signifiait pas grand chose pour moi, c’est cette habitude d’aller au cinéma seule ou avec moi, voir tous ou presque tous les genres de films, qui m’a nourrie et qui m’a fait entrer dans l’univers si complexe et passionnant des films et des histoires...
Première femme à recevoir le César de la meilleure réalisatrice en 2000 pour votre film Vénus beauté 3, que pensez-vous de la place des femmes dans cette profession du cinéma ?
C’est une vaste question, je ne sais pas si je pourrais y répondre totalement.
La France est malgré tout assez en pointe pour ce qui est du pourcentage des femmes en réalisation, mais nous voyons que partout, aussi bien dans les métiers techniques que dans la production, et également au niveau des financements, que les femmes ont encore du mal à imposer leur statut, leurs idées (entre 2009 et 2013, le pourcentage des réalisatrices ayant bénéficié de subventions au niveau national est resté inférieur à celui de leurs homologues masculins, selon un ratio moyen de 80/20).
Comme partout ailleurs cette profession est organisée autour du “Masculin”. Mais les jeunes générations prennent les choses à bras le corps et un mouvement comme 50/50 pour 2020 initié par l’association le Deuxième regard 4 va dans ce sens et devrait proposer prochainement avec le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animé) des “Assises de l’égalité femmes-hommes dans le cinéma” pour identifier les blocages et trouver des solutions…
Quant au César qui m’a été attribué, il n’y a qu’un Oscar (à Kathryn Bigelow en 2010 pour le film Démineurs), une Palme d’or (à Jane Campion en 1993 pour La leçon de piano) qui ont été remis à une réalisatrice, je suis donc dans une norme consternante...
Pourquoi avez-vous créé votre société de production Tabo Tabo Films en 1993 ?
Pour me sentir libre de développer mes films et mes idées et aussi parce que le métier de producteur permet d’aller vers d’autres réalisateurs, réalisatrices, de rencontrer d’autres univers que le sien. C’est un outil fragile mais indispensable pour continuer à réfléchir sur le cinéma, mais aussi sur les séries audiovisuelles qui sont un format que j’ai toujours beaucoup aimé...
Ainsi dans les films produits par Tabo Tabo Films, celui de Ram Nehari Don’t Forget Me a remporté 5 prix, dont Meilleur Film, Meilleur Acteur et Meilleure Actrice au Torino Film Festival en 2017. Et une série sur Arte “Cannabis” réalisé par Lucie Borleteau, une jeune réalisatrice de grand talent.
Votre dernier film Numéro Une sorti sur les écrans en France en octobre 2017 porte sur l’accession difficile d’une femme, interprétée avec sensibilité par Emmanuelle Devos, à la tête d’une entreprise du CAC 40. Pourquoi avez-vous choisi de raconter cette histoire ?
Je voulais faire une série pour la télévision justement sur un club, un réseau féminin qui me permettrait de raconter et d’observer le parcours des femmes dans la politique, l’industrie, le sport les médias, etc… C’était en 2009. Aucune chaîne n’a voulu entendre parler de ce sujet au prétexte que c’était pour une audience de niche !!! Donc j’ai remis ce sujet dans mes cartons et puis le monde bouge, pas toujours dans un bon sens pour les femmes, alors je me suis dit qu’il fallait le ressortir et le traiter dans un film. La durée d’un film étant plus courte que celle d’une série, j’ai situé l’action dans l’industrie et dans un terrain vierge qui est le CAC 40, car il est symbolique...
Pensez-vous que les femmes ont un rapport différent à l’exercice du pouvoir ?
Tant que ce pouvoir restera organisé sur le “Masculin” il sera très difficile pour les femmes de l’exercer différemment car tout leur demande d’agir comme un homme sous prétexte de faiblesse si elles ne s’y conforment pas. Mais je crois que les femmes n’ont pas tout à fait les mêmes “Totems” que les hommes et que, si elles avaient la liberté d’agir, et surtout d’imaginer un territoire qui leur est propre, oui je crois qu’elles l’exerceraient différemment.
Quel a été le sens de votre participation à la montée des marches des 82 femmes du 7e Art, l’un des temps forts du 71e Festival de Cannes présidé par Cate Blanchett ?
Cela participe du projet déjà cité 50/50 pour 2020, qui consiste à montrer les faiblesses actuelles en matière d’égalité femmes-hommes, c’est fort et symbolique du peu de femmes considérées dans ce milieu et je crois que cela a fait réfléchir…
Quels sont vos projets à venir, avez-vous déjà le sujet de votre prochain film ?
L’un de mes projets est un film de fiction sur l’enfance, je n’en dirais pas plus pour l’instant. L’autre projet est très directement la suite de mon film Numéro une, je vais faire un documentaire résolument utopiste, c’est une question : “Et si le Capitalisme avait été inventé par des femmes ça ressemblerait à quoi ?”
Je n’ai pas la réponse, mais j’ai des idées, des intuitions que je vais confronter à celles d’autres intervenants. Voilà, ça va m’occuper pendant un moment…
Dans le cadre de la manifestation Le panorama du cinéma français en Chine organisée par Unifrance Films et l’Ambassade de France en Chine, Tonie Marshall a présenté en juin dernier son film Numéro Une. Cette manifestation qui se tient entre les mois d’avril et de juillet principalement à Pékin et à Shanghaï, accueille chaque année près de 19 000 spectateurs.
1. Unifrance a été créée en 1949 sous la forme d’une association loi 1901, UniFrance est sous le contrôle des pouvoirs publics et notamment du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée). L’association compte près de 1000 adhérents, producteurs de longs et courts métrages, exportateurs, réalisateurs, comédiens, auteurs (scénaristes) et agents artistiques.
2. Micheline Presle est une actrice qui fait partie du patrimoine cinématographique français. En 2004 elle obtient un César d’honneur pour l’ensemble de sa carrière.
Sa filmographie impressionnante est riche de collaborations importantes avec des réalisateurs de renoms français et étrangers. Elle a tourné notamment dans Les Amants de Villa Borghese (Villa Borghese) un film franco-italien réalisé par Gianni Franciolini et Vittorio De Sica, dans Si Versailles m’était conté, immense succès de Sacha Guitry, aux côtés d’autres plus grands acteurs comme Georges Marchal, Claudette Colbert, Jean Marais, dans L’Assassin (L’Assassino) film italien réalisé par Elio Petri, dans La Religieuse, de Jacques Rivette adapté du roman éponyme de Denis Diderot. Ce film restauré a été présenté dans la section Cannes Classics lors du dernier Festival de Cannes. Mais aussi dans les films de Tonie Marshall par exemple dans Tu veux ou tu veux pas de 2014 avec Sophie Marceau et Patrick Bruel.
3. Récompenses du Film Vénus beauté 1998 César du meilleur film, César du meilleur réalisateur (Tonie Marshall), César du meilleur espoir féminin (Audrey Tautou), César du meilleur scénario original ou adaptation (Tonie Marshall)
4. Le Deuxième Regard est un réseau qui vise à soulever les stéréotypes de genre dans le cinéma, et milite pour l’égalité femmes-hommes dans l’industrie. Il est né en 2013 avec la signature d’une Charte pour l’Egalité entre les femmes et les hommes dans le cinéma, signée par Aurélie Filippetti (alors Ministre de la Culture), Najat Vallaud Belkacem (alors Ministre des Droits des Femmes), Frédérique Bredin (Présidente du CNC) et Véronique Cayla (Présidente d’Arte et Marraine de l’association).
Le cinéma fait la promotion d’une certaine vision du monde, d’un mode de vie et des rapports femmes-hommes. Il n’échappe pas à certaines déterminations de sexe ou de classe. Il n’y a pas d’écriture ou de mise en scène « féminine ». Chaque artiste s’exprime avec son éducation, ses influences, son regard sur le monde à partir de la place qu’il occupe. Le Deuxième Regard s’intéresse aux représentations du féminin et du masculin, et souhaite mettre en lumière le travail des femmes du secteur, encore faiblement représentées.
NB : Pour en savoir plus sur les statistiques des femmes réalisatrices, consultez le rapport sur l’égalité des genres au sein de l’industrie cinématographique européenne de l’EWA (European Women’s Audiovisual Network) :
Où sont les femmes réalisatrices ? European Women’s Audiovisual Network |