Entretien avec Sophie Dulac
Entretien avec Sophie Dulac, réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe
L’Alliance française de Trieste va à la rencontre de personnalités du monde culturel, des médias, de l’institutionnel, afin de vous faire partager leur actualité, leurs actions, leurs projets.
Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe, Conseillère Culturelle de l’Alliance française de Trieste.
Productrice indépendante, exploitante de salles de cinéma à Paris, distributrice de films et Présidente du Champs-Elysées Film Festival, Sophie Dulac est une personnalité incontournable du paysage cinématographique français. Mais outre ses qualités professionnelles indéniables, ce qui frappe quand on la rencontre, c’est son contact direct, sa franchise, et sa détermination. Pour l’Alliance Française de Trieste elle revient sur son parcours et nous fait part de son actualité.
A quel moment êtes-vous entrée dans la profession du cinéma, et quelles ont été vos principales motivations ?
J’ai toujours aimé le cinéma mais je ne semblais pas destinée à en faire mon métier étant diplômée de psycho-graphologie, profession que j’ai exercée durant 6 ans. Mais ma vie étant souvent une succession d’opportunités, on m’a proposé un jour de produire un court métrage, Le ministère de la peur de Fred Tourneur, qui a eu le prix du meilleur court métrage au festival de Grasse ; puis un second, Il n’y a qu’un seul dieu de Cyril Cohen qui a reçu également un prix du public. Je me suis prise au jeu et j’ai ensuite produit un documentaire, Décryptage de Philippe Bensoussan et Jacques Tarnero. J’ai donc arrêté la graphologie.
Pourquoi avez-vous choisi d’exercer les métiers de productrice, exploitante de salles de cinéma et distributrice de films ? Avez-vous connu des difficultés particulières pour vous imposer au sein d’une profession plutôt masculine ?
J’ai envie de vous répondre que je n’ai rien choisi, le cinéma m’a trouvée. En 2001 un exploitant connu et ami de ma famille m’a proposé d’acheter des salles de cinéma. Il s’agissait de cinq cinémas qui étaient à vendre séparément. J’ai refusé deux fois, ne me voyant pas du tout exploitante de salles… Et un matin je me suis réveillée et j’ai en fait proposé d’acheter les cinq. Je l’ai fait sans savoir où elles étaient situées, j’étais complètement kamikaze !
Enfin en 2003 quelqu’un m’a dit "tu produis, tu as des salles, tu devrais faire de la distribution". Ah bon ? J’ai alors créé Sophie Dulac Distribution , en me disant "je n’y connais absolument rien, il faut donc que je m’entoure de personnes qui savent faire". Maintenant, après 16 ans, moi aussi je sais !
Quant à la difficulté de s’imposer dans ce milieu, je n’ai jamais eu de problèmes et pour citer Talleyrand "Là où tant d’hommes ont échoué, une femme peut réussir"
Comment sélectionnez-vous les projets, les oeuvres que vous allez produire, programmer ou distribuer ?
Programmer et distribuer sont deux choses différentes. Pour mes salles j’ai un programmateur qui s’en occupe car c’est un vrai métier. Il a la charge de rentrer tous les films porteurs Art et Essai qui sortent chaque semaine, mais c’est une vraie bagarre qui se livre tous les lundis car il y a énormément de films proposés.
Pour la distribution je sors 8 à 10 films par an, le programmateur Paris se charge de trouver les salles où ils seront distribués, et nous avons deux personnes qui programment la province.
Nous sélectionnons les projets soit sur scénario, soit dans les festivals et nous recevons beaucoup de films terminés qui cherchent des distributeurs.
Nous avons distribué récemment le film Foxtrot de Samuel Maoz, Grand prix du Jury et Lion d’Argent à la dernière Mostra de Venise.
En production, nous avons coproduit un film magnifique Hannah Arendt de Margareth Von Trotta , La particule humaine de Semih Kaplanoglu avec Jean Marc Barr, 3 jours à Quiberon de Emilie Atef.
Nous avons également coproduit L’ordre des choses de Andrea Segre, en sélection officielle à la Mostra Venise 2017, et Prix de la critique 2017 au Festival franco-italien de Villerupt. Nous produisons le prochain film de Claire Simon.
Nos choix de production vont bien sûr vers les réalisateurs avec lesquels nous travaillons souvent mais aussi vers les sujets qui nous touchent. Parfois il est plus intéressant pour nous d’obtenir des parts du film en le co-produisant. Quand nous co-produisons un film, nous le distribuons automatiquement.
Quelle est la spécificité de votre réseau de salles “Les Ecrans de Paris” ?
Il s’agit des cinémas suivants : L’Arlequin (qui accueille entre autre depuis plusieurs années la manifestation “De Rome à Paris” qui présente aux distributeurs français les films italiens inédits, sortis en salle en Italie l’année précédente), l’Escurial qui accueille la semaine italienne en Juin, le Reflet Médicis, le Majestic Passy, le Majestic Bastille.
Ce sont toutes des salles Art et Essai de quartiers, très performantes techniquement, équipées en numérique, une avec en plus du 70mn. Ces salles sont accueillantes, confortables et humaines.
Quelle est pour vous la vocation du cinéma ?
Divertir et faire rêver .
Pourquoi avez-vous créé le Champs-Elysées Film Festival que vous présidez, et qui présente sa 7e édition cette année ? Quelle est sa particularité ?
Alors voilà encore une idée kamikaze. Je me suis dis un jour qu’il n’était pas normal qu’une ville comme Paris n’ait pas un grand festival international, et qui plus est dans le quartier le plus connu au monde, les Champs Elysées, où il ne se passe rien sur le plan culturel. J’aurais pu en rester là, mais non, je me suis lancée ce défi. J’ai constitué une équipe et nous sommes partis la fleur au fusil à la conquête des Champs Elysées. Cela fait déjà 7 ans que le rendez-vous a lieu en juin ! Oh la la.
Sa particularité est d’être un festival ouvert au grand public et aux professionnels. J’ai appliqué le concept d’unité de lieu d’action et de temps. Les salles de cinéma de l’Avenue des Champs-Elysées : Le Balzac, le Gaumont Marignan, le Lincoln, le Publicis Cinémas et l’UGC Georges V y participent, et je mets en avant le cinéma américain indépendant que l’on voit très peu en France.
Compétition de longs et courts métrages français et américains, avant-premières françaises et américaines, master class, présence de talents américains, Prix du public et Prix du jury… C’est une semaine de folie, de bonheur, sur la plus belle avenue du monde.
Quelle est l’importance d’un festival dans l’accès aux films et à leur notoriété ?
Un festival permet de montrer des films inédits qui ne sortiront peut être pas sur les écrans français, et de les montrer (pour les films américains ) à des professionnels qui pourraient les acheter. Plusieurs films ont trouvé des distributeurs grâce à nous .
Quels sont vos projets à venir ?
Nous avons 3 films qui vont sortir en salle dans les prochains mois :
Le 13 juin, 3 jours à Quiberonde Emilie Atef
Le 4 juillet Femmes du chaos vénézuelien de Margarita Cadenas ;
Le 18 juillet Mon Tissu préféré de Gaya Jiji , premier film syrien qui a été sélectionné au dernier Festival de Cannes dans la section “Un certain regard”.
Les autres films sont en train d’être datés.
Avez-vous un souhait particulier à exprimer ?
Si j’avais un souhait à exprimer ce serait de pouvoir continuer à faire rêver le public encore longtemps. On en a tellement besoin .
Sophie Dulac s’investit également dans le cinéma de répertoire, et ce depuis 2008 avec la très belle expérience que fût Lola Montes de Max Ophuls. Elle réalise pour ces titres des ressorties ambitieuses sur des combinaisons importantes, accompagnées d’une éditorialisation forte. Chacune de ces sorties bénéficie de l’expertise et des mêmes moyens mis en œuvre pour une sortie de film « frais ». Parmi ces films de répertoire, Lola de Jacques Demy, Tell me Lies de Peter Brook, Jeux Interdits de René Clément ou encore Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault & Jacques Prévert (1980), qui, sorti sur 120 copies, dépasse aujourd’hui les 100 000 entrées France depuis sa ressortie en juillet 2013 et est exploité sur une longue période via le dispositif ’’École au cinéma’’ du Centre National de la Cinématographie. Un tel succès atteste de la pertinence de ce travail autour du cinéma d’hier et incite Sophie Dulac Distribution à s’investir encore un peu plus sur ce terrain d’une cinéphilie bien vivante et dynamique.