Entretien avec Véronique Cayla
Entretien avec Véronique Cayla, réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe
A la tête d’ARTE France depuis 2011, et à l’occasion du lancement de ARTE in italiano qui vient d’avoir lieu le 17 octobre à l’Ambassade de France à Rome, Véronique Cayla nous fait part des évolutions mises en place depuis sa prise de fonctions de Présidente, et de ses ambitions pour le futur.
Quelle est la particularité de la chaîne ARTE dans le paysage audiovisuel français et européen ?
ARTE est la seule chaîne binationale au monde. Créée il y a 26 ans par la volonté de François Mitterrand et Helmut Kohl, pour rapprocher les peuples d’Europe par la culture, c’est une chaîne publique, culturelle, financée par la redevance en France et en Allemagne. Disponible dans toute l’Europe à la télévision et en ligne, elle propose des documentaires, des films, des séries, des concerts et des émissions d’information et de décryptage. A la télévision les programmes sont disponibles en français et en allemand. En ligne, sur le site et les applications ARTE, les programmes sont disponibles en 6 langues : en français, en allemand, en anglais, en espagnol, en polonais et depuis le 17 octobre, en italien !
Nous sommes très heureux d’arrimer ainsi ARTE à l’Italie. Comment faire une chaîne culturelle européenne sans ce pays, sa langue, son patrimoine, son génie créatif ?
Plus généralement, nous sommes très attachés à ce qu’ARTE ne soit plus seulement franco-allemande, mais véritablement européenne. Nous coproduisons nos séries de fiction et nos documentaires avec 12 pays européens, nous nous adressons à 70% des Européens dans leur langue maternelle… à l’heure où l’idéal européen est mis à mal par les nationalismes, ARTE porte haut les valeurs d’ouverture, de tolérance, de diversité culturelle et linguistique.
Quelles ont été les principales évolutions mises en place depuis votre prise de fonctions à la présidence d’ARTE France ?
A notre arrivée en 2012 nous avons initié la relance éditoriale de la chaîne. A cette époque, ARTE disposait d’une solide réputation sur l’exigence de ses programmes et la qualité de ses nombreux documentaires historiques. Nous avons voulu nous appuyer sur ces fondamentaux, garder leur exigence, mais avec l’idée de plus ancrer la chaîne dans le temps présent et de l’inciter à regarder vers l’avenir. Nous avons aussi changé de ton, pour montrer qu’ARTE est accessible à tous et non pas destinée à une élite. L’objectif est d’agir en faveur de la création, en privilégiant la diversité des genres, des écritures, des auteurs, et ce, dans tous les domaines : des documentaires aux programmes courts et aux spectacles, de la fiction au cinéma et aux nouvelles expériences pour le Web.
Cette relance éditoriale a été accompagnée d’une réflexion plus globale sur la manière dont aujourd’hui les spectateurs regardent nos programmes, pour nous adapter aux usages numériques, et toucher un public plus large, et plus jeune. Aujourd’hui, l’offre numérique d’ARTE est disponible partout : sur ordinateur, sur Facebook, Instagram, YouTube, Molotov, en podcast, etc. Cette stratégie d’hyperdistribution porte ses fruits et nous permet de rajeunir considérablement notre audience : elle est de 62 ans sur l’antenne, 45 sur l’ordinateur et 35 sur les réseaux sociaux.
Enfin, l’ouverture d’ARTE sur l’ensemble du continent européen est une réalisation dont je suis fière.
Quelles sont les offres de programmation qui font le succès de la chaîne ?
L’un des piliers de notre chaîne c’est le documentaire. Il nous permet d’explorer le monde dans toute sa diversité et sa complexité.
En complément des documentaires, il faut ajouter notre offre d’information. Il y a le JT bien sûr, réalisé par une rédaction internationale et polyglotte, basée à Strasbourg, qui ne tombe jamais dans le commentaire de faits divers, mais qui s’attache à donner une perspective internationale dans le traitement de l’actualité. Nos magazines d’information, comme 28 Minutes, proposent des débats de fonds et veillent à décrypter les événements, sans donner dans le sensationnalisme.
Nos séries et fictions remportent de vrais succès d’audience. Elles donnent à voir la palette des imaginaires européens, des étendues scandinaves, avec Au nom du père d’Adam Price, le créateur danois de la série Borgen, à l’Italie, avec notre première co-production italienne, la série événement de Niccolò Ammaniti, Il Miracolo. Nous nous attachons à ne pas diffuser de séries américaines, et les audiences nous donnent raison de nous démarquer ainsi des autres chaînes.
Enfin, ARTE est cinéphile. Avec six rendez-vous hebdomadaires à l’antenne dont trois prime-times, 85% de films art et essai, et le plus grand nombre de films diffusés sur une télévision gratuite, ARTE est la chaîne du cinéma d’auteur européen. Nous sommes d’ailleurs co-producteurs du dernier film d’Alice Rohrwacher, Lazzaro Felice, primé cette année à Cannes.
Quels sont les programmes qui vont être diffusés en italien et les objectifs poursuivis ?
ARTE in italiano permet au public italianophone d’ARTE, qu’il réside en Suisse, en Italie ou ailleurs en Europe, d’avoir accès au cœur des programmes d’ARTE dans sa langue maternelle.
Notre offre vient d’être lancée, mais en vitesse de croisière, ce seront environ 400 heures de programmes sous-titrés en italien ainsi que de nombreux concerts qui seront disponibles. Ces programmes reflèteront la diversité de ce que nous proposons depuis aujourd’hui 26 ans : de l’Histoire avec Sauvages, au cœur des zoos humains de Bruno Victor-Pujebet et Pascal Blanchard, de la science avec L’intelligence artificielle va-t-elle nous dépasser ? de Guilain Depardieu et Thibaut Martin, un programme passionnant sur les progrès et les limites de cette technologie, mais également et bien évidemment la culture, avec le documentaire Pier Paolo Pasolini : regard sur l’Italie entre 1959 et 1971.
Quelles sont vos ambitions pour ARTE France d’ici la fin de votre deuxième mandat en 2021 ?
D’ici 3 à 5 ans, le modèle de la télévision, tel que nous l’avons connu, sera archaïque, puis disparaîtra, et la télévision aura alors basculé dans l’ère de la délinéarisation, qui, pour nous, est parfaitement naturelle. ARTE sera donc d’abord et avant tout un groupe numérique qui, outre les nôtres, abritera le meilleur des programmes provenant de nos chaînes partenaires européennes.
Cependant, la délinéarisation des usages a tendance à individualiser les expériences des téléspectateurs, et peut créer un sentiment d’isolement des individus. Or nous continuons de croire à la valeur des expériences partagées, des émotions communes. Nous nous appliquons donc à « traverser l’écran » et à proposer à notre public des expériences sensibles, et collectives. C’est ce que nous avons fait en France par exemple, en organisant l’été dernier un karaoké géant dans le Parc de la Villette à Paris ou en juin dernier à Rome, en étant partenaire du festival Villa Aperta dont nous avons retransmis les concerts.
Enfin, pour que les jeunes européens puissent bénéficier d’un socle commun de connaissances et de valeurs, nous développons aujourd’hui des outils éducatifs qui, grâce au numérique, pourront être déployés auprès du plus grand nombre. Notre offre par abonnement Educ’ARTE, destinée aux établissements scolaires, est dotée d’une forte dimension européenne. Multilingue, elle se développe en France, en Allemagne, et maintenant en Belgique et au Luxembourg. Elle est aujourd’hui disponible en français, en allemand et anglais, et l’on peut imaginer que demain elle le sera également en italien !
Le parcours professionnel de Véronique Cayla est riche d’expériences dans le domaine de l’audiovisuel et du cinéma comme en témoignent notamment ses précédentes fonctions de Directrice générale du Festival de Cannes, puis de Présidente du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée).
Il a pour fil conducteur la création artistique dans toutes ses expressions et la valorisation des créateurs de tous les horizons.