Entretien avec Serge Bromberg
Entretien avec Serge Bromberg par Milvia Pandiani-Lacombe.
Fondateur de Lobster Films en 1985, Serge Bromberg est un producteur, restaurateur de films anciens, un auteur et un réalisateur. De 1999 à 2012, il est Directeur artistique du Festival international du film d’animation d’Annecy. Son parcours exceptionnel est marqué par la recherche, la découverte, la restauration de pépites cinématographiques, d’œuvres de cinéastes qui font partie du patrimoine mondial tels que Charlie Chaplin, Buster Keaton, Georges Méliès… C’est aussi un merveilleux animateur des fameux ciné-concerts “Retour de Flamme” au cours desquels il fait partager au grand public sa passion pour les films muets.
Quelle a été votre motivation à la création de Lobster Films ?
Lorsque je suis sorti de l’ESCP (une école de commerce parisienne), je voulus devenir producteur audiovisuel, et en profiter bien vite pour réaliser moi-même les films que je produirais. Malheureusement, les premiers essais que j’avais fait en amateur éclairé n’étaient pas très convaincants, et je dus me résoudre bien vite à produire des audiovisuels d’entreprise réalisés par d’autres.
Mais Lobster était né, et très vite, je me suis détourné de la production classique pour me consacrer à ma passion depuis mon enfance, le cinéma de patrimoine, que j’avais découvert grâce aux projections en super 8mm des films de Chaplin et de Keaton que mon père faisait. Une passion devenue débordante, un désir de collectionner, de retrouver, de partager les films dans leur meilleure version possible.
Ma grande chance est d’avoir su, dès ma plus tendre enfance, ce que j’aimais et ce que je ferais de ma vie. Grâce à cela, et avec beaucoup de travail, je suis en quelque sorte devenu celui que j’étais déjà à 10 ans.
D’où vous vient cette passion pour les films anciens, et quelles ont été vos plus belles découvertes ?
La passion ne s’explique pas, mais en vérité, ce que j’aime dans le cinéma, c’est que c’est un prétexte pour rencontrer les autres. Les réalisateurs rencontrent des acteurs et des techniciens, les projectionnistes rencontrent le public, les critiques rencontrent leurs lecteurs, et lorsque j’étais jeune, aller au cinéma était avant tout une excuse pour passer un moment ou une soirée avec des amis, loin du domicile familial. Ce qui explique certainement que le public de cinéma est très jeune, encore aujourd’hui.
Quant à mes découvertes, sachant que je cherche (avec mon camarade Eric Lange, à Lobster Films) des films depuis 1985, c’est impossible à dire ; le film perdu de Keaton, retrouvé en Italie, celui de Chaplin, retrouvé dans le sud de la France, les 35 films perdus de Méliès découverts en 1999, Le Voyage dans la Lune de Méliès en couleurs (retrouvé par la Cinémathèque de Barcelone, mais que nous avons restauré), les films inconnus de Pierre Dac, Laurel et Hardy, Django Reinhardt, les documentaires en couleurs des années 1910, ou les films de Duvivier, Renoir, des Marx Brothers… Aujourd’hui, nous avons environ 130.000 boîtes de film réparties dans une quinzaine d’archives et dans nos propres stocks, soit près de 50.000 titres, et la collection s’enrichit chaque jour.
D’ailleurs, ceci est un appel à vos lecteurs : si vous avez des boîtes de films « échouées », même très rouillées, ou connaissez des sources, contactez-nous, ou la cinémathèque la plus proche. Il manque encore 50% des films tournés dans le monde à ce jour. C’est énorme, et ce sont toujours les appels personnels qui permettent des découvertes incroyables.
Maintenant, vous me demandez quelle est ma plus belle découverte ?
Aucun doute là-dessus : c’est la prochaine !
Parlez-nous de votre découverte du film inachevé “L’Enfer” de Georges Clouzot et de votre documentaire qui a été récompensé par un César.
En 1964, Henri Georges Clouzot a commencé un film secret dont le budget était colossal, et qui s’est très mal terminé après seulement trois semaines de tournage.
On ne savait plus rien de ce film, et aucune image ne semblait avoir survécu. En 2007, suite à un incident à la fois fâcheux et heureux (je me suis retrouvé coincé dans un ascenseur en panne avec Mme Clouzot), j’ai pu retrouver la trace de ces images (grâce au CNC). J’ai demandé alors à Bérénice Bejo et à Jacques Gamblin de reprendre les rôles de Romy Schneider (26 ans à l’époque) et de Serge Reggiani, et j’ai écrit et réalisé L’Enfer d’Henri Georges Clouzot, un film qui raconte le film tel qu’il aurait pu être, mais également la descente aux enfers de l’équipe et la catastrophe finale, que tout le monde avait cachée à l’époque.
Ce film, aujourd’hui devenu un classique, a fait le tour de tous les Festivals, de Cannes à Telluride aux États-Unis, a obtenu plus de 20 récompenses prestigieuses dans le monde, et a fait une rencontre impressionnante avec le public.
Comment s’opère le processus de restauration d’un film ?
Difficile à expliquer, car entre l’expertise et la restauration elle-même, les stratégies sont si nombreuses qu’il est impossible d’établir des règles.
Disons que le principe d’une restauration est de reprendre les meilleurs éléments survivants du film (négatif original, copies, éléments intermédiaires, complets ou partiels), et de reconstituer l’intégralité du film dans la meilleure qualité possible, image et son. Car les pellicules ne sont pas des corps chimiquement stables, et à tout moment, un film peut se décomposer.
Il y a 15 ans, tout ce qui pouvait être fait était de recopier le contenu du film original sur une copie 35mm, avec très peu d’améliorations à part une dissimulation des petites rayures de surface par le procédé dit de « l’immersion ». Aujourd’hui, la restauration est essentiellement numérique. Après avoir scanné les meilleurs éléments, on peut retoucher le film image par image, et lui redonner pratiquement sa jeunesse originelle.
Mais pour lui rendre l’éternité, on recopie toujours les images et les sons restaurés sur de la pellicule 35mm polyester, dont la durée de vie estimée est aujourd’hui de 1000 ans.
Comment est née l’idée des ciné-concerts “Retour de flamme” et quels sont les publics ?
Collectionner et restaurer des films n’a guère de sens si ce n’est pour partager les œuvres avec le public. Alors, très simplement, nous avons répondu à l’appel d’une salle qui voulait passer des courts métrages de patrimoine (muets, avec piano) en proposant un programme de films restaurés par nos soins ; malheureusement, quelques minutes avant le début du spectacle, le pianiste s’est fait porter pâle. Je me suis donc mis au piano que je n’avais pas touché depuis 15 ans, et entre les films, pour faire pardonner mon piètre accompagnement, je me levais et racontais tel un bonimenteur comment le film avait été retrouvé, restauré, et je replaçais l’œuvre dans son contexte. Et comme j’aime raconter des histoires, et que le public (de tous âges et de tous horizons) adore les « il était une fois », cela a pris immédiatement ; c’était à Paris au Passage du Nord-Ouest, un ancien cinéma, en novembre 1992. Mon dieu : près de 30 ans déjà…
Avez-vous une présence particulière aux Journées du cinéma muet, manifestation qui se tient chaque année en octobre à Pordenone dans la Région Frioul-Vénétie Julienne ?
Je viens à Pordenone tous les ans depuis 1991, car c’est un festival formidable, humain, sans compétition (évidemment) car tous les acteurs et réalisateurs sont morts depuis longtemps, et sans véritables enjeux pour la presse.
Les représentants des archives, chercheurs, étudiants, historiens s’y rencontrent, découvrent les dernières restaurations faites dans le monde, et passent un vrai moment d’amitié ensemble. Pordenone, c’est une famille.
Et puis, en 1997, nous avons été les plus jeunes lauréats du prix Jean Mitry, qui couronne l’ensemble d’une carrière prestigieuse au service du patrimoine ; recevoir cette distinction à l’âge de 37ans fut un honneur et une immense surprise ; donc, ce que nous faisions par passion était en réalité utile et important pour l’histoire du cinéma ? Incroyable !
Et depuis tout ce temps, chaque année, à l’instar des grandes institutions comme le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), la Cinémathèque Française et de toutes les grandes archives d’Etat à travers le monde, nous apportons de nouveaux films retrouvés et restaurés à Pordenone avec fierté et grand plaisir.
Quels sont vos prochains projets de restauration ?
Duvivier, René Clair, Fred Astaire, Max Linder, Jean de Baroncelli, Jean Gremillon, Buster Keaton, Douglas Fairbanks, King Kong… et 88 négatifs originaux de Georges Méliès, que l’on pensait détruits depuis 1923. Autant de noms qui ne diront peut-être rien à vos lecteurs, mais qui à leur époque étaient bien plus célèbres que Steven Spielberg, Leonardo di Caprio ou Catherine Deneuve aujourd’hui.
Quel est le cinéaste dont vous rêvez de découvrir les œuvres ?
Charles R. Bowers. Vous ne connaissez pas ? Alors ouvrez les yeux, et cherchez…
Si vous trouvez des films, contactez-nous.
Serge Bromberg, LOBSTER FILMS, 18 Passage Beslay, 75011 PARIS
+33 1 43 38 69 69 / contact chez lobsterfilms.com