Entretien avec Gilles Bonnevialle
Entretien avec Gilles Bonnevialle Directeur Général de Paris-Ateliers par Milvia Pandiani-Lacombe
Gilles Bonnevialle, actuel Directeur Général de Paris-Ateliers, a un parcours riche d’expériences diverses dans le secteur institutionnel et associatif avec pour fil conducteur la Culture qu’il fait rayonner en France et hors de ses frontières dans le cadre des différentes fonctions à responsabilités qui lui sont confiées. Pour l’Alliance Française de Trieste, il revient sur ce parcours et nous fait partager ses engagements et ses projets.
En quoi consiste la fonction d’Administrateur du Parc de Saint-Cloud que vous assumez avec succès pendant 7 années et quelles sont les principales actions que vous avez menées dans ce cadre ?
Le Domaine national de Saint-Cloud est l’un des 100 monuments appartenant à l’Etat, géré par le Centre des Monuments Nationaux qui est un établissement public du Ministère de la Culture. L’administrateur dirige les équipes du domaine : une centaine d’agents (jardiniers, agents d’accueil, de sécurité…) pour assurer l’ouverture au public du site classé Monument Historique et également protégé au titre de l’Environnement.
Il a également la responsabilité de la préservation et de l’entretien des bâtiments et du jardin historique dessiné par Le Nôtre pour le frère de Louis XIV. Et il est chargé de développer des activités culturelles valorisant ce site exceptionnel et d’en développer l’attractivité culturelle et touristique.
Hélas le château ayant disparu suite à un incendie en 1871, il reste peu d’espaces bâtis pour développer des activités culturelles et artistiques, hormis le petit musée historique.
J’ai donc pris le parti de développer essentiellement une programmation en plein air, à la belle saison. Pour l’essentiel grâce à des partenariats avec les collectivités territoriales (Région Ile-de-France, Département des Hauts-de-Seine et des communes riveraines) ainsi que des mécénats privés que nous avons recherchés activement.
J’ai ainsi pu créer avec mon équipe de nombreux évènements culturels, expositions et plusieurs festivals dans des domaines variés. L’objectif étant de satisfaire aussi bien les populations environnantes que des publics régionaux, nationaux ou même internationaux.
Ainsi nos festivals de musique classique « Les bucoliques musicales » puis « Musiques et jeux d’eau » avaient-ils un rayonnement principalement sur l’Ouest parisien, de même que le festival « Films sous les étoiles » (cinéma en plein air), mais le festival « Rock en Seine », créé en 2003, a eu immédiatement un rayonnement international. Il est aujourd’hui l’un des plus importants festival de pop-rock en Europe, avec plus de 120.000 spectateurs pendant trois jours. Les plus grands artistes et groupes internationaux s’y sont produits.
Créer un évènement culturel, une exposition, un festival est chaque fois une nouvelle aventure pleine d’incertitude, qui fédère des énergies, des milieux professionnels et des partenaires différents, avec un même objectif : satisfaire le plus large public possible mais avec, à chaque fois, la crainte que celui-ci ne réponde pas présent ou que des évènements extérieurs viennent perturber ou conduire à l’annulation… Et lorsqu’on programme exclusivement en plein air, le temps est un élément inquiétant : pluie, grande chaleur, fort vent… peuvent réduire en quelques minutes des mois de travail à néant. C’est donc une fonction dans laquelle mes nerfs ont parfois été mis à mal ! Mais quel bonheur de partager avec les artistes l’enthousiasme de dizaines de milliers de spectateurs !
Parlez-nous de votre expérience en qualité de Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle du Consulat Général de France à Hong Kong et Macao. Quels sont notamment les festivals et évènements que vous accompagnez pendant cette mission de 4 années ?
Effectivement au bout de sept années passées à la tête du Domaine national de Saint-Cloud, j’ai éprouvé le besoin de quitter ma zone de confort, et j’ai eu l’envie d’intégrer ce qu’on appelle la « diplomatie culturelle », c’est-à-dire la promotion de la culture française à l’étranger. Et j’ai eu la chance d’être nommé à Hong Kong et Macao…
Le Conseiller de Coopération et d’Action Culturelle (COCAC) est le chef du service culturel du Consulat Général de France à Hong Kong et Macao et dirige une équipe d’une quinzaine de personnes chargée de la promotion de la culture française au sens large (arts, éducation, langue française, sciences…). A cette époque (2009-13) il était aussi le directeur du « French May », festival d’art français multidisciplinaire.
Dans ce cadre j’ai pu programmer des spectacles à grands effectifs (et gros budgets) : la Comédie Française, le Ballet de l’Opéra de Nice, celui de l’Opéra national de Bordeaux, les compagnies Preljokaj, Mourad Merzouki, Révolution… des grands comédiens (Jacques Weber, Denis Podalidès…), des grands solistes (Renaud Capuçon, Roger Muraro, Laurent Korcia…), des chanteurs (Mathieu Chedid, IAM, Joyce Jonathan…).
Et surtout, j’ai pu produire de grandes expositions patrimoniales avec des œuvres vraiment exceptionnelles : présenter pour la première fois en Chine une partie de la collection du Musée Picasso (pas moins de 750 millions d’euros de valeur d’assurance !), une grande exposition Napoléon avec le Mobilier National qui nous a permis de montrer le mobilier et des objets décoratifs des appartements de l’Empereur aux Tuileries ou à St-Cloud, mais aussi de sortir pour la première fois de France le trône de l’Empereur qui se trouve depuis 1804 au Sénat et n’en était jamais sorti !
Et puis des expositions d’art contemporain : la rétrospective « My Way » de Jean-Michel Othoniel (au Musée d’Art de Macao), une partie des œuvres (vraiment) monumentales de Bernar Venet qu’il avait produites pour son exposition en 2011 au Château de Versailles, des installations d’œuvres de Nathalie Decoster…
Plus les projets étaient ambitieux, plus nous avions de chances de trouver les financements auprès de mécènes hongkongais et chinois principalement… car il faut noter que ces projets étaient entièrement financés par mécénat et partenariats.
J’avais aussi commandité plusieurs expositions de taille plus modestes mais de grande qualité autour des savoir-faire français car les hongkongais sont passionnés de mode et d’arts décoratifs français.
Ainsi successivement, nous avons présenté une exposition sur l’histoire de la parfumerie, puis sur les cosmétiques, les accessoires de mode, l’horlogerie française… Chaque fois il s’agissait de montrer un savoir-faire historique, avec des œuvres d’art patrimoniales, mais aussi leur application contemporaine, dans la création d’aujourd’hui.
Vous continuez de faire rayonner la France, sa langue et sa culture avec votre nomination en 2015 comme Conseiller de Coopération et de l’Action Culturelle près l’Ambassade de France en Lettonie et de Directeur de l’Institut Français de Lettonie. Y-a-t-il des manifestations et des réalisations qui vous ont particulièrement mobilisées ?
Là encore, comme COCAC de notre Ambassade j’avais en charge l’ensemble de la coopération culturelle, éducative, scientifique… mais en plus comme Directeur de l’Institut français à Riga, je dirigeais son centre de langue, sa médiathèque… Je dois dire que cette dimension « langue française » m’a passionné, d’autant qu’il s’agissait de relancer cet institut un peu sur le déclin. Or, les Lettons et je devrais dire surtout les Lettonnes, sont proportionnellement nombreux(ses) à souhaiter apprendre le français.
L’Institut Français de Riga accueille environ 4.000 apprenants par an, dans une ville qui ne compte que 600.000 habitants et dans un pays de moins de 2 millions de citoyens. Pour un pays non francophone et sans histoire commune avec la France, c’est un pourcentage important.
Avec mon équipe, nous avons donc beaucoup travaillé à restructurer notre offre, à moderniser notre communication et à développer la notoriété et le rayonnement de l’Institut, et je suis fier qu’en 4 ans nous ayons progressé de plus de 50%.
A côté de cela nous avons développé de très nombreux évènements littéraires et de débat d’idées avec des partenaires extérieurs mais aussi à l’Institut Français où nous avons créé notamment des entretiens informels que mon équipe avait intitulés « l’invité(e) du directeur ». Nous profitions du passage à Riga de personnalités françaises ou francophones très diverses pour les inviter à venir dialoguer avec les francophones et les francophiles lettons (grâce à une interprète). Je jouais un rôle de « journaliste » pour les interroger et de médiateur pour favoriser les échanges avec les participants. J’ai dû ainsi me familiariser avec des disciplines parfois assez pointues, pour pouvoir interroger des spécialistes dans les domaines des neuros-sciences, des blockchaines, des vêtements interconnectés, de la tapisserie contemporaine… J’ai adoré cela ! Et le public aussi semble-t-il.
Et puis bien sûr, ma mission comprenait un volet artistique et culturel.
La région balte a été irriguée, comme une grande partie de l’Europe, pendant les XVIIIe et XIXe siècles par l’esprit des Lumières et de la Révolution Française. Le sentiment d’appartenir à un peuple, doté d’une histoire, de traditions profondes, d’une langue complexe a fait émerger un sentiment national qui s’est affirmé au début du XXe, grâce surtout à des artistes et des poètes. La Lettonie a gagné sa première indépendance au lendemain de la Première Guerre mondiale et pour ces artistes et intellectuels Paris était, à cette « Belle Epoque », la capitale culturelle vers laquelle tous les regards se tournaient. Beaucoup ont fait le voyage de Paris et les arts lettons en ont été très influencés. Ainsi le grand mouvement artistique du « Symbolisme » a connu un développement très intéressant en Lettonie mais aussi en Lituanie et Estonie.
A mon arrivée à Riga en 2015, mon Ambassadeur m’avait confié comme dossier prioritaire de trouver un lieu pour une exposition que les Lettons voulaient absolument organiser à Paris, où aucune exposition d’artistes de cette partie de l’Europe n’avait été organisée depuis 1939 ! Ils souhaitaient impliquer leurs deux voisins baltes, ce qui donnait du coup au projet une importance diplomatique importante, la France ne voulant surtout pas fragiliser sa relation avec ces trois états pour une question culturelle, devenue hautement « symbolique ».
J’ai donc mobilisé tous mes réseaux au Ministère de la Culture et après avoir exploré plusieurs options, c’est la nomination de Laurence des Cars à la tête du Musée d’Orsay qui nous a ouvert les portes du Musée de référence pour cette époque et ce mouvement. L’exposition « Âme Sauvage, le Symbolisme balte » a été inaugurée en avril 2018 par le Président Macron et les trois Présidents de Lettonie, Lituanie et d’Estonie.
L’heureux aboutissement de ce projet de diplomatie culturelle m’a valu une reconnaissance des partenaires lettons qui dans la foulée ont accepté à peu près tous les projets que je leur ai proposés.
Mes années lettones ont donc été particulièrement riches en expositions, concerts, résidences d’artistes impliquant artistes, institutions et partenaires français et lettons…
A votre retour de Riga et depuis près d’un an vous avez été nommé Directeur Général de Paris-Ateliers, quelles sont les missions et les actions de cette association ?
C’est à l’issue d’un long processus de recrutement, car il y avait près de 200 candidats pour ce poste, que j’ai été nommé Directeur Général de cette structure culturelle, qui est une association, mais qui bénéficie d’un très fort engagement de la Ville de Paris.
Fondée dans les années 70 avec la double idée d’apporter un revenu régulier aux artistes et artisans d’art, et en échange de leur demander d’encadrer des ateliers ouverts à la population, Paris-Ateliers accueille chaque année 5000 parisiens dans 520 ateliers par semaine, animés par 160 professionnels, sur une trentaine de sites dispersés dans Paris. Nous proposons plus de 100 disciplines, qui vont des différents beaux-arts (dessin, peinture, sculpture sous toutes leurs formes) mais aussi la céramique et l’ensemble des métiers d’art (gravure, mosaïque, restauration de tableau, de meubles, ou de sièges, encadrement, dorure à la feuille, tapisserie, dentelle, bijouterie…).
Nous avons également un pôle important autour de l’écrit avec des ateliers d’écriture (poétique, littéraire, théâtrale, de scénarii…), mais aussi les différentes formes de calligraphie, de reliure… ainsi qu’un pôle image (photo, vidéo, image numérique…)
De nombreux artisanats d’art étrangers sont également présents dans nos catalogues (miniature persane, laque chinoise ou japonaise, kamihimo, peinture chinoise…).
Nos publics sont très divers de 15 à 95 ans, avec certes une part importante de personnes inactives et de séniors mais nous avons beaucoup d’activités en soirée qui permettent à tout un chacun, après son travail, de s’adonner à sa passion ou d’en découvrir de nouvelles.
Nous avons aussi de plus en plus de jeunes qui viennent s’essayer à une matière, à une discipline avant de s’engager dans un processus de formation professionnelle, et de personnes en questionnement sur leur carrière, qui retrouvent dans nos ateliers le plaisir de faire des choses avec leurs mains, de développer leur créativité.
Du fait de la diversité des publics, certains étant des vrais débutants, d’autres ayant déjà un long cursus derrière eux, nous ne parlons jamais de cours. En effet il ne s’agit pas de délivrer une connaissance théorique ou pratique identique à chacun. Nous privilégions donc plutôt la notion d’atelier, où chacun arrive avec son projet et son expérience, et que nos professionnels assistent individuellement, on dirait en mauvais français « coachent » afin de leur permettre d’intégrer gestes et techniques nécessaires à leur accomplissement.
Ainsi chacun y trouve ce qu’il est venu y chercher, et le plus souvent au-delà de la satisfaction d’accomplissement d’une œuvre c’est un véritable bien-être qui est ressenti. Nous avons de véritables passionnés, qui poursuivent année après année leur activité au point d’atteindre des niveaux professionnels avancés.
Si vous me permettez une petite confession personnelle, c’est amusant pour moi de me retrouver à la tête de cette institution, car il y a plus de 20 ans, alors que ma carrière professionnelle piétinait, je m’étais inscrit en « dessin » et « modelage d’après modèle vivant ». J’avais alors acquis très vite la certitude que je n’avais pas le talent d’être un artiste, mais que ma destinée était sans doute de travailler à leur côté. C’est grâce à ce constat que j’ai orienté ma carrière vers le domaine culturel et que le parcours que je viens de vous décrire a donné sens à ma vie, et m’a conduit là où je suis.
Quelles sont les autres associations culturelles que vous accompagnez bénévolement et pour quels objectifs ?
Je préside depuis quelques années l’association Maecenae que j’avais créée pour continuer à mener des projets avec l’Asie, après mon expérience à Hong Kong, et qui porte aujourd’hui un projet personnel de création d’une résidence d’écrivains et d’artistes.
Depuis peu, je préside également l’association des Amis de l’Esparrou, qui préfigure un Centre Culturel de Rencontre au Château de l’Esparrou, à côté de Perpignan et avec laquelle nous sommes en train de développer de nombreux projets artistiques et pédagogiques.
Enfin j’ai créé l’année dernière avec mes amis lettons l’association Via Ars, pour poursuivre nos belles coopérations et avec laquelle nous avons plusieurs expositions en préparation.
Découvrir, accompagner, valoriser des artistes, des œuvres, des talents semble être le moteur principal de votre action. Avez-vous des projets en cours et à venir qui vous tiennent particulièrement à cœur ?
Oui accompagner des artistes, les aider à aller plus loin dans leur créativité et à structurer leur travail et leur carrière, valoriser leurs œuvres à travers des expositions, des spectacles…
C’est vraiment mon ADN et c’est la mission que je me suis donnée. Le souci est que je suis généraliste, un peu touche-à-tout, mais j’éprouve beaucoup de bonheur aujourd’hui à voir que mon expérience permet des connexions inattendues et que mon rôle de facilitateur, de passerelle, permet d’aider vraiment des projets à émerger et à se réaliser.
J’aurai beaucoup bâti, parfois de l’éphémère mais aussi des choses durables. Alors oui, beaucoup de projets me tiennent à cœur !
A Paris-Ateliers, d’abord j’aimerais trouver le moyen de mieux valoriser les différents métiers d’artiste et d’artisan d’art qui font la richesse incroyable de cette structure, à travers des expositions, des rencontres, des portes ouvertes des ateliers… J’y travaille depuis plusieurs mois mais la crise liée à la Covid-19 est venue perturber quelque peu l’avancée du projet.
Et j’aimerais créer une sorte de « collection prestige » de stages intensifs de courte durée avec des spécialistes reconnus de disciplines rares, d’arts étrangers pour ceux qui veulent aller plus loin et atteindre une forme de perfection. J’aimerais que ces stages soient adaptés à un public étranger qui pourrait venir à Paris pour l’occasion.
Et pour ne citer que trois de mes projets personnels :
Avec le Château de l’Esparrou, le premier projet que j’avais proposé devrait se réaliser cet automne : une performance « duo » d’art plastique et de musique classique entre le jeune virtuose du violon Théotime Langlois de Swarte (nommé aux Victoires de la Musique) avec le talentueux jeune peintre Silvère Jarrosson, que j’accompagne depuis deux ans. Cette performance sera proposée en tournée en France et à l’étranger.
Avec Maecenae, c’est bien sûr la création d’une résidence d’artistes et d’écrivains que j’essaye de structurer et qui devrait ouvrir aux confins du Berry (Région Centre-Val-de-Loire), de l’Auvergne et de la Bourgogne, si tout va bien, l’année prochaine.
Enfin avec Via Ars nous devrions présenter une belle exposition « l’Ambre, l’or balte sur les routes de la soie » à Hong Kong à l’automne 2021, et plusieurs musées de Lettonie devraient accueillir, durant toute l’année prochaine et le début 2022, une exposition sur « Les cabinets de curiosités », dont j’assure le commissariat.
Tous ces projets sont un peu malmenés par la crise de la Covid mais je suis pleinement déterminé à les faire aboutir.