Entretien avec Noela Brunetta
Entretien avec Noela Brunetta, présidente de l’Alliance Française de Trieste. Réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe.
L’Alliance française de Trieste fête son soixantième anniversaire en cette année 2020. C’est l’occasion pour sa Présidente Noela Brunetta, de revenir sur l’histoire de sa création, sur les différentes étapes de son évolution et sur son actualité dans le contexte particulier que nous vivons en raison du confinement imposé par le Covid-19.
Racontez-nous comment est née l’Alliance Française de Trieste.
« Au début des années 50, il existait un cénacle à Trieste qui se réunissait une ou deux fois par mois, sans lieu précis. Nous nous rencontrions chez l’un ou chez l’autre pour parler d’histoire, de littérature et de tout ce qui touchait à la France, notamment des relations entre la France et la ville de Trieste ou sa région. Nous étions des précurseurs. Ce groupe d’Amis de la France a fondé l’Association culturelle italo-française à Trieste ». L’auteur de ces lignes est M. Decio Gioseffi, professeur émérite d’histoire de l’art médiéval et moderne de l’Université de Trieste, il a toujours participé et soutenu les activités de l’association qui deviendra ensuite l’Alliance française de Trieste, affiliée à l’Alliance française de Paris.
La volonté et l’enthousiasme de ce groupe, ainsi que l’engagement de Mme Léonore Faucitano, professeure de français diplômée de la Sorbonne, ont permis l’ouverture d’un petit bureau rue Valdirivo et ensuite dans la galerie Protti. La fondation de l’association remonte à 1960, quand l’activité débute en proposant des cours de langue pour enfants et adultes. À l’époque, l’Alliance Française vit un véritable mélange culturel et multiehtnique. En effet, de jeunes générations de français, de franco-libanais, d’égyptiens, entre autres, y côtoient les jeunes Triestins pour consolider ensemble leur formation linguistique et littéraire. Il était alors possible de croiser Giovanna Botteri, journaliste triestine, actuellement correspondante de la Rai pour l’Orient.
Au début de sa création, l’Alliance française a bénéficié du soutien de la compagnie d’assurance triestine La Ras qui a fourni les ressources financières nécessaires pour créer une bibliothèque d’ouvrages en français et développer les activités culturelles. Grâce à cet appui, l’association a pu organiser de nombreuses conférences animées par d’éminents professeurs et écrivains français.
Quelles ont été les principales évolutions, les faits marquants, et les temps forts depuis sa création ?
Depuis sa création, l’Alliance française de Trieste n’a cessé d’évoluer pour assurer au mieux ses missions.
Une étape importante remonte à 1989, lorsque l’Alliance française s’est installée sur la Place S. Antonio Nuovo, où aujourd’hui près de 13 000 volumes, diverses revues, une médiathèque de 700 DVD peuvent être consultés et empruntés.
En 1992, Mme Marina Bartolucci a été nommée directrice et a occupé ce poste jusqu’en 2008. Au cours de ces années, la Ras a accueilli un certains nombre de conférences et soirées à thème. Assicurazioni Generali a également contribué au développement de l’Alliance française en organisant des expositions de peinture, des conférences et des festivals pour célébrer les dates importantes de la tradition française.
Autre fait marquant, en 1994, nous devenons Centre d’examen Delf-Dalf : il s’agit de diplômes officiels en français langue étrangère de valeur internationale reconnus par le Ministère français de l’Éducation nationale, qui attestent du niveau de maîtrise de la langue française. C’est cette année-là que j’ai commencé à enseigner à l’Alliance française et je me souviens avec plaisir de la première session d’examens qui a amorcé une véritable révolution pour la validation des compétences acquises par les étudiants.
Notre centre d’examen, le seul actuellement autorisé dans notre région, gère depuis quelques années des centres de passation à Udine et Gorizia. Nos commissions se déplacent dans les différentes provinces de la région afin de faciliter l’accès aux certifications des candidats scolaires et universitaires.
Depuis 2008, le rôle de directrice est assumé par Mme Véronique Goffin. C’est en 2009, avec l’approbation des nouveaux statuts par la Fondation des Alliances françaises de Paris, que notre association devient à tous les effets l’Alliance française de Trieste, faisant ainsi partie du réseau des Alliances françaises dans le monde.
Pour conclure ce parcours historique, je tiens à évoquer la célébration des 50 ans d’activité de l’Alliance française de Trieste, en avril 2010. C’est dans ce contexte que nous avons accueilli la troisième « Conférence nationale des Alliances françaises d’Italie », sur le thème de « la Francophonie entre l’Adriatique et les Balkans », la ville de Trieste ayant été identifiée comme le « trait d’union » entre l’Adriatique et les Balkans. À cette occasion, M. Claudio Magris, invité d’honneur, a reçu des mains de M. Stefano Fantoni, alors président de l’Alliance française de Trieste, la distinction de membre honoraire en présence de M. et Mme Jean et Marie-Noëlle Pastureau, les traducteurs français de Claudio Magris. Ce fut l’occasion d’une discussion autour du thème de la traduction mais aussi un témoignage de la popularité de M. Magris en France.
C’est avec fierté que nous pouvons affirmer qu’après dix ans, notre association, qui compte plus de 300 étudiants et adhérents chaque année, est toujours protagoniste de la vie culturelle de Trieste.
A qui s’adresse l’Alliance française de Trieste, quel est son statut, quelles sont ses missions, son organisation ?
L’Alliance française de Trieste est une association de droit local à but non lucratif, membre fondatrice de la Fédération des Alliances françaises d’Italie. L’association a été constituée conformément aux statuts et aux objectifs de l’Alliance française, créée en 1883 à Paris, dont le respect et la continuité sont assurés par la Fondation des Alliances françaises. L’Alliance française travaille en collaboration avec tous les acteurs de la politique culturelle de la France à l’étranger : l’Ambassade, le Consulat et l’Institut français.
Les missions de l’association visent à promouvoir la langue française et les cultures francophones, à contribuer à la diversité linguistique et culturelle, à soutenir l’enseignement de la langue française dans les écoles, à organiser des évènements culturels, tout en favorisant les échanges avec la culture locale, sans oublier la conservation, la gestion et le développement de la bibliothèque et de la médiathèque.
Notre association fonctionne à travers une gestion responsable et réfléchie, garante de sa volonté d’indépendance, se tenant à l’écart de tout conditionnement politique ou religieux ainsi que de toute forme de discrimination. Elle est administrée par le Conseil d’Administration qui valide et suit le projet d’établissement défini par la directrice, Mme Véronique Goffin, qui travaille également en étroite collaboration avec le réseau des Alliances françaises.
L’Alliance française de Trieste s’adresse essentiellement à un public non-francophone très varié. Des élèves, des étudiants, des professionnels, des francophiles, qui souhaitent apprendre ou approfondir la langue française. L’Alliance française est également une référence pour la communauté française et francophone de Trieste et de la Région, qui peut bénéficier de cours pour enfants et adolescents et suivre les évènements culturels pensés pour tout public. L’activité didactique est programmée sur l’année scolaire, les apprenants sont amenés à découvrir ou à approfondire la langue à travers une approche communicative et actionnelle. En outre, l’Alliance française propose aux entreprises et aux institutions des cours individuels ou collectifs, répondant à leurs objectifs spécifiques.
Comment s’inscrit l’Alliance française de Trieste dans le réseau des Alliances françaises, assume-t-elle un rôle particulier ? Y-a-t-il des collaborations spécifiques avec des Alliances Françaises d’Italie ou hors d’Italie ?
Notre association fait partie d’un réseau international de 832 Alliances françaises dans 131 pays sur les cinq continents, confié à 14 400 collaborateurs, dont 9100 sont enseignants. Les derniers chiffres indiquent plus de 500 000 apprenants de français de tous âges et 3,3 millions de spectateurs qui suivent 26 000 évènements culturels organisés par les Alliances françaises dans le monde.
La Fondation des Alliances françaises, dont le siège est à Paris, est reconnue comme établissement d’utilité publique et a pour mission de développer dans le monde l’enseignement et l’usage de la langue française, de favoriser la promotion et le rayonnement des cultures francophones et de contribuer à la diversité linguistique et culturelle. Pour réaliser ses objectifs, la Fondation apporte son soutien aux Alliances françaises, dans le respect des spécificités locales.
L’Italie dispose du réseau le plus dense d’Europe : 36 Alliances françaises présentes dans presque toutes les régions du territoire national, réunies en 1996 au sein de la Fédération des Alliances françaises d’Italie.
La Fédération est responsable des formations FLE (Français Langue Étrangère) destinées aux enseignants et aux professionnels de l’éducation. La création et la proposition d’une Offre de Formation nationale, fut l’étape fondamentale pour obtenir la qualification d’Agence de Formation des enseignants de français et être reconnue par le MIUR (Ministère de l’Éducation de l’Enseignement supérieur et de la Recherche italien).
De plus, les Alliances françaises d’Italie répondent à leur vocation première d’offrir aux apprenants des cours de qualité, validés par des certifications reconnues par le Ministère de l’Éducation nationale français : on estime à 40 000 le nombre de certifications délivrées chaque année dans notre pays.
La directrice Mme Véronique Goffin, joue aussi un rôle particulier au sein de la Fédération étant membre du Comité Technique et Scientifique (CTS) et collaborant ainsi à la réalisation de projets avec le comité de direction et le président. Elle est également chargée de maintenir les contacts avec les Alliances françaises d’Italie pour la promotion et la mutualisation des évènements culturels sur le territoire italien.
Dans ce contexte, j’occupe également une position significative, ayant été nommée en 2015 au sein du Conseil d’Administration de la Fédération des Alliances françaises d’Italie et ayant, en 2018, eu l’honneur de devenir vice-présidente du Conseil d’Administration, charge que je partage avec Mme Danielle Revol, présidente de l’Af Valdinievole.
J’ai accepté ce poste de manière responsable et j’essaie d’apporter ma contribution à une communauté de bénévoles qui consacrent une partie de leur vie professionnelle et personnelle à la promotion des cultures française et francophones dans notre pays. Je souligne l’importance du terme communauté, lieu privilégié d’expériences et d’idées, que le président M. Raffaele Romano de la Fédération a su mettre en valeur.
Depuis son élection en 2015, M. Romano a créé une Fédération innovante et dynamique, dont le succès est dû à la valorisation des différences et à l’ambition de proposer des activités de qualité. Son engagement l’a conduit à être élu membre du nouveau Bureau de la Fondation des Alliances françaises ainsi que représentant de la zone Europe du collège des Alliances françaises. Cet immense succès valorise également l’action menée au niveau national à travers son engagement pour la promotion des valeurs qui unissent cette communauté mondiale.
Quelle est sa relation avec les différents représentants de la ville de Trieste, de la région Frioul-Vénétie Julienne, du consulat honoraire français de Trieste ?
L’une des missions de notre association est de présenter des évènements culturels liés à la France et au monde francophone. Nous pensons, en outre, qu’il est important de travailler en synergie avec les représentants de la ville de Trieste et de sa région.
L’activité culturelle s’est développée régulièrement au fil des années et les collaborations avec d’autres associations culturelles se sont consolidées, notamment avec l’Association S/Paesati, en partenariat avec Bonawentura-Teatro Miela et La Cappella Underground.
Dans le contexte universitaire, nous participons à la réalisation d’initiatives avec le Département d’Études humanistes, le Département des Sciences politiques et sociales et l’IUSLIT de l’Université de Trieste, le Département de Langues et Littératures et le Centre international sur le multilinguisme de l’Université d’Udine. Nous avons également collaboré avec le Prix AMIDEI de Gorizia, où les réalisateurs français Robert Guédiguian, Sylvain Chomet et Patrice Leconte ont été récompensés.
Pour ce qui est de notre bibliothèque, en 2010 nous avons adhéré au Pôle SBN de l’Université de Trieste et du Frioul-Vénétie Julienne, la catalogation de notre patrimoine au sein du Service de la Bibliothèque nationale est en cours.
Depuis 2017, nous proposons le « Très Court International Film Festival », un festival consacré à la meilleure production audiovisuelle mondiale de courts métrages de moins de quatre minutes qui implique simultanément les cinq continents. A partir de 2018, cette manifestation a lieu en collaboration avec le Cinéma Ariston de Trieste.
Dans un cadre plus convivial, nous avons organisé deux soirées de dégustation animées par le vice-président de l’Association des Sommeliers italiens du Frioul-Vénétie Julienne, délégué de Trieste, qui a présenté une sélection de vins de la région de Champagne lors de la première rencontre et de grands vins de Bourgogne lors de la seconde.
Au cours de ces années, nous avons rencontré des représentants des institutions de notre ville, qui ont soutenu nos projets en différentes occasions. La dernière en date, en février dernier, lorsque nous avons sollicité le partenariat de la ville de Trieste et de la région Frioul-Vénétie Julienne pour la première édition du Festival du film francophone d’Angoulême à Trieste, en collaboration avec la Cappella Underground, pour célébrer la Journée internationale de la Francophonie. Compte tenu de la situation actuelle liée au Covid-19, nous avons dû annuler la première édition du festival prévue pour le mois de mars et la reporter à l’année prochaine. Nous estimons que cette initiative importante représente également l’opportunité de faire découvrir notre région et la ville de Trieste en France.
Nous avons souvent travaillé conjointement avec Mme Christia Chiaruttini Leggeri, Consule honoraire de France à Trieste, notamment lors de rencontres avec des écrivains français à la librairie Ubik et au Café San Marco et à l’occasion de la Fête nationale française.
Mme Chiaruttini Leggeri vient de terminer son mandat après 20 ans au service des concitoyens français, c’est pourquoi je tiens à lui exprimer, au nom du Conseil d’Administration et de la Direction de l’Alliance Française de Trieste, notre sincère gratitude pour le travail remarquable qu’elle a accompli au fil des années. Mme Chiaruttini Leggeri a toujours été un partenaire privilégié de notre association et une alliée précieuse dans la diffusion de nos propositions culturelles.
Dans ce contexte particulier lié à l’épidémie du Covid-19 qui a imposé notamment la fermeture des écoles, des cours de formation professionnelle, comment s’est organisée l’Alliance française de Trieste pour assurer ses cours et garder le contact avec ses adhérents ?
A partir de fin février, l’Alliance française de Trieste a dû prendre des mesures pour gérer l’urgence épidémiologique. Alors que la gravité et la propagation du Covid-19 n’étaient encore que des suppositions, le Conseil d’administration a dû décider de la reprise éventuelle des activités dans nos locaux. Je tiens à remercier publiquement l’ensemble du Conseil, qui a très rapidement et unanimement fait preuve de prudence à l’égard de nos adhérents et de nos enseignants, et a opté pour la suspension temporaire des cours en présentiel.
Certes, il n’a pas été facile de faire face à une situation sans précédent, mais en très peu de temps, grâce au travail remarquable de la directrice Mme Véronique Goffin et au professionnalisme du corps enseignant, l’équipe de l’Alliance française de Trieste a assuré la continuité de ses activités. A partir du 11 mars, tous les élèves ont pu poursuivre leurs cours collectifs ou individuels sur la plateforme Zoom.
Depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, la Fédération des Alliances françaises d’Italie a proposé des formations en ligne pour tous les enseignants des Alliances françaises d’Italie et du monde. L’Institut français de Paris et IfProfs proposent des webinaires hebdomadaires avec la collaboration de nos collègues sur le terrain pour présenter des solutions alternatives à la fois humaines et technologiques.
Par ailleurs et plus que jamais, notre priorité est de garder un lien avec notre public, nos partenaires, notre réseau. Pour cela, nous utilisons des outils essentiels tel que notre site internet www.aftrieste.it, source de renseignements utiles, notre lettre d’information numérique largement diffusée et notre présence active sur les principaux réseaux sociaux : Facebook, Twitter, Instagram, relais de communication importants.
A l’occasion de ce 60e anniversaire quel message souhaitez-vous adresser aux membres et aux collaborateurs de l’Alliance française de Trieste ?
Tout d’abord, je voudrais envoyer un message de remerciement à l’équipe de l’Alliance française de Trieste, qui a su s’adapter avec un grand professionnalisme aux exigences sans précédent imposées par la pandémie.
À l’heure où nous sommes confrontés à des difficultés économiques et humaines, je voudrais également adresser un message d’espoir aux membres de notre association, en souhaitant les voir suivre les cours dans nos locaux, dès que les dispositions nationales et régionales le permettront.
Une soirée était prévue fin mai pour célébrer le 60e anniversaire de l’Alliance française de Trieste, je tiens à informer nos adhérents que ce moment convivial est reporté et non pas annulé. À cette occasion, nous conférerons le titre de membre honoraire à Mme Chiaruttini Leggeri, en reconnaissance de son rôle de Consule honoraire de Trieste et de son amitié pour notre association.
Ce sera aussi l’occasion de célébrer ensemble le retour à la vie que nous tenions pour acquis avant le confinement, démontrant ainsi que le contact humain, plus encore après cette grave expérience, est fondamental pour nous tous.