Entretien avec Ron Dyens
Entretien avec Ron Dyens, réalisé par Milvia Pandiani-Lacombe
Il y a 20 ans Ron Dyens créait "Sacrebleu", sa société de production de films, courts et longs métrages de fiction et d’animation. Cet anniversaire est l’occasion de revenir sur son parcours exceptionnel de producteur reconnu internationalement, notamment par l’Académie des Oscars qui vient de l’intégrer parmi ses membres.
Pourquoi avez-vous décidé de créer votre société de production Sacrebleu, et d’où vient le choix de ce nom ?
La création de "Sacrebleu" vient d’un événement que beaucoup de réalisateurs ont vécu, à savoir avoir un producteur intéressé par votre film, et qui finalement renonce à le produire. Dans mon cas de figure, j’étais allé voir non pas un, mais trois producteurs à la suite, et devant leur enthousiasme mais leur inaction, j’ai décidé de prendre les choses en main. Ma chance si je puis dire, a été de me faire cambrioler et d’avoir un accident de voiture. J’ai pu ainsi investir l’argent des assurances, non pas dans le rachat des objets volés ou dans la voiture, mais bien dans la création de ma société.
Tout ce cheminement pour en arriver là se traduit dans le nom de ma maison de production : "Sacrebleu" qui est en effet un juron, mais pour moi un juron positif. Certains jurons sont statiques, traduisent un problème, sans proposer de résolution. Sacrebleu, signifie pour moi (dans un langage poli) : "Flûte, il y a un problème, mais je vais le résoudre".
À quel moment avez-vous décidé de produire des films d’animation et pour quelles raisons ?
J’ai une formation initiale en arts plastiques, et j’aimais à cette époque le temps que l’on prenait à créer mais aussi l’entraide que l’on pouvait s’apporter. Quand j’ai créé "Sacrebleu", comme pour tous les apprentis producteurs/réalisateurs, je ne jurais que par la fiction, car l’animation était un genre tellement cloisonné que peu de personnes s’y intéressaient. Ma chance est d’être arrivé juste avant que l’animation ne prenne son essor, et je pense avoir participé à son développement grâce à l’exigence que j’y ai mise dès le début.
Quels sont vos critères déterminants pour produire un auteur, une œuvre ?
D’abord l’histoire et la personnalité de l’auteur. C’est un long parcours que de travailler ensemble le projet, de chercher le financement, de produire le film, puis de le distribuer. Encore plus en animation. Il faut donc avoir une bonne base, et l’idée, l’originalité du projet sont essentielles à mes yeux avant que de commencer quoi que ce soit. Avec certains auteurs comme Céline Devaux, le travail se fait au long cours car elle a de bonnes bases de départ et réfléchit pendant la fabrication, donc mon rôle est plus retenu. Pour d’autres, il y a une vraie demande à laquelle j’accepte de participer bien entendu.
Comment s’exprime votre rôle de producteur dans l’accompagnement d’un film d’animation pour lesquels les temps de réalisation sont plus longs ?
Il faut souvent aider l’auteur au travers d’une position qui se situe entre lui et le spectateur final. Un producteur est censé voir si l’auteur maîtrise parfaitement son sujet. Puis il doit le laisser à l’œuvre mais rester toujours capable de l’informer s’il se perd dans ses choix ou dans sa façon de raconter son histoire.
Il ne faut pas oublier qu’un réalisateur d’animation, souvent, groupe les fonctions de scénariste, de chef opérateur (au travers de son art graphique), de monteur (au travers de l’animatique) et de réalisateur. Nous finissons actuellement un film du réalisateur américain Zachary Zezima. Son histoire est très personnelle, et il nous appartient de le rassurer qu’elle ne sera pas déformée, mais bien au contraire entendue de la meilleure des manières possibles. C’est parce que nous avons davantage de distance et que nous connaissons bien l’auteur et son histoire, que nous pouvons nous permettre d’intervenir ainsi.
Les œuvres que vous produisez font l’objet de nombreuses sélections dans les festivals internationaux prestigieux comme Cannes, Venise, Berlin, Annecy...Quel est l’impact des festivals sur les films sélectionnés ? Et quelles ont été les nominations ou récompenses qui vous ont particulièrement marqué ?
J’ai eu la chance d’avoir été récipiendaire de nombreux prix prestigieux, tels que la Palme d’Or (Chienne d’Histoire – 2010), le Lion d’Or (Gros Chagrin – 2017), l’Ours d’Argent (The Great Rabbit – 2010), le Cristal d’Annecy par deux fois (Tram et Man on the Chair), une nomination aux Oscars (Madagascar, carnet de voyage – 2010), un César (Le Repas Dominical – 2016)…J’ai également eu la chance d’être reconnu en tant que producteur grâce à deux prix Procirep (Société des producteurs de cinéma et de Télévision). Tous ces prix permettent de donner une crédibilité à nos choix et d’entreprendre le fameux passage du court au long-métrage, si ardu quand on manque de contacts pour passer l’étape supérieure.
En tous les cas une chose est certaine, c’est que je ne me suis jamais endormi sur un prix. Bien au contraire, ils m’ont chaque fois stimulé pour essayer d’en avoir d’autres !
Quelle est la situation de la production française en matière de films d’animation ?
Je pense que nous sommes déjà dans une vague descendante depuis quelques années. Nous avons eu la chance d’être énormément soutenus par les pouvoirs publics. Les écoles d’animation françaises sont réputées internationalement, la France a une expertise, vend bien ses séries… mais les longs-métrages d’animation ne font plus beaucoup d’entrées.
En effet, les spectateurs des films d’animation vont principalement voir des films pour enfants ou pour la famille, et donc les films à destination ado-adulte ont du mal à prendre malgré le cas exceptionnel du film J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin (film récompensé au Festival international du film d’animation d’Annecy du Cristal du long-métrage et du prix du public après avoir obtenu le Grand prix de la Semaine de la critique du dernier Festival de Cannes).
De plus, à cause du cinéma américain réalisé uniquement en 3D, l’animation 2D (une technique très française) est souvent reléguée au rang de film « Art House »*.
Cela a pour conséquence de réduire le travail de marketing et in fine le nombre d’entrées en salle.
Quel bilan faites-vous de ces 20 ans de production au sein de « Sacrebleu », et quels sont vos projets à venir ?
Les conditions en général se sont extrêmement dégradées depuis que j’ai commencé à produire, mais il reste une flamme incompréhensible que nous portons tous dans la profession quand nous commençons à découvrir ce qu’est le cinéma. Alors on continue, toujours avec amour !
Je suis actuellement sur la préparation de deux longs-métrages, une coproduction d’une fiction avec la Belgique : Le Cœur Noir des Forêts de Serge Mirzabekian, et une coproduction animée avec la République Tchèque My Sunny Maad, de Michaela Pavlatova, la réalisatrice de Tram, un troisième, Sirocco et le Royaume des Courants d’Air de Benoît Chieux, devrait être tourné au second semestre 2020. Et on continue le court, un format encore libre bien que chahuté ces derniers temps.
*Art House est un genre de film qui englobe les films dont le contenu et le style - souvent artistique ou expérimental - adhèrent avec le moins de compromis possible à la vision artistique personnelle du cinéaste.
Les grands studios sont réticents à investir de l’argent dans des projets qui ne rapporteront probablement pas de profits en raison de l’attrait limité - souvent de niche - du film. Sans le soutien d’un studio important, les cinéastes d’Art House acquièrent rarement les moyens financiers pour des productions de grande envergure, ni des sorties en salle fortement commercialisées.