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Alliance française Trieste

Entretien avec Béatrice Thiriet

Entretien avec Béatrice Thiriet, musicienne et compositrice de musiques de films, par Milvia Pandiani-Lacombe

Béatrice Thiriet est une musicienne, compositrice de musiques de films. Elle se distingue par sa personnalité enthousiaste, volontaire, par ses engagements et ses combats en faveur de la place des Femmes dans la filière musicale, et des droits d’auteurs en Europe. Pour ce faire elle assume des responsabilités importantes dans des organismes comme la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) et l’UCMF (l’Union des Compositeurs de Musiques de Films). Pour la qualité de son travail Béatrice Thiriet a été décorée des Arts et Lettres, et la Profession lui a décernée de nombreux prix. Elle a choisi de s’entretenir avec l’Alliance Française de Trieste sur son métier, son actualité et ses projets.

Comment est née votre passion pour la composition musicale, et quelles sont vos sources d’inspiration ?
J’ai commencé la musique vers l’âge de quatre ou cinq ans… Pour des raisons assez tristes puisque ma mère venait de perdre un bébé à la naissance. J’ai été éloignée de la maison. La tante qui m’a accueillie pendant cette période avait un piano, et sa fille avait commencé à apprendre à en jouer... Quand je suis rentrée à la maison, j’ai demandé à faire la même chose… Le piano est arrivé… J’ai tout de suite essayé de jouer. Au début, le soir, ma mère me jouait des valses de Chopin… Elle avait des ongles longs et laqués rouges qui claquaient légèrement sur l’ivoire des touches... Je n’oublierai jamais ce son...J’ai pris des leçons de piano avec une très bonne professeure. C’était une femme enjouée et passionnée qui a décelé mon talent et m’a transmis son amour de la musique.
J’ai eu un choc quasi fusionnel avec Mozart et sa musique. Spécialement les pièces qu’il avait écrites, enfant. C’est sûrement grâce à lui que je me suis lancée. J’ai composé pour la fête des mères un petit morceau. Je n’ai noté ni la consternation des adultes, ni leur inquiétude, ni leur admiration… Mais le tour était joué et dans ma tête comme dans la leur, j’étais devenue une compositrice.

Quelles ont été les circonstances qui vous ont amenées à composer pour le cinéma et la télévision ?
En sortant du Conservatoire, je ne savais vraiment pas quelle voie choisir. J’ai fait un peu de rock avec la bassiste du groupe français Lili Drop, des concerts de piano, j’avais alors 20 ans, j’étais perdue… Puis une amie m’a donné l’adresse d’une astrologue. Cette femme a vu dans mon thème astral que ma musique aurait un rapport avec le cinéma et le théâtre. Elle a donné mon numéro de téléphone à un de ses clients réalisateur qui préparait un court-métrage. Il m’a engagée. De ce fait, la prédiction était réalisée. Je venais de composer ma première musique de film ! Des années après, la réalisatrice Pascale Ferran qui préparait son premier long métrage Petits Arrangements avec les Morts m’a appelée, et ma carrière a démarré !

Comment se passe la collaboration avec la réalisatrice ou le réalisateur pour la composition de la musique de leur film, et comment faites-vous pour préserver votre liberté de création tout en répondant à leurs souhaits ?
Chaque réalisatrice, chaque réalisateur a son identité, sa sensibilité. C’est cela que je ressens en premier. Oserais-je dire que je les entends ? Sûrement, parce que je traduis beaucoup des choses de la vie, en sons, en musiques. Mon identité musicale, je ne peux la changer, je ne sais pas, si c’est un bien ou un mal. En général on me choisit pour mon univers musical, mon style, ma particularité. En revanche, je peux m’adapter aux cinéastes et à leurs envies de musique quand je les ressens. Il y a presque de l’Amour là-dedans. Étrangement, je pense que c’est le film qui décide de la musique.
Ainsi par exemple, d’une collaboration à l’autre avec la réalisatrice Dominique Cabrera, pour qui j’ai composé cinq musiques de films, je n’ai jamais composé les mêmes formes musicales. Avec Pascale Ferran nous déterminons des espaces de musiques, un peu identiques à chaque film, mais la façon dont j’occupe ces espaces n’est jamais la même. Quant à Joël Farges qui utilise beaucoup de musique dans ses films, j’ai écrit pour lui des grandes musiques orchestrales. Avec Radu Mihaieleanu dans son film Les Pygmées de Carlo, j’ai mêlé des voix de Pygmées à un orchestre symphonique. Pour le réalisateur Xavier Durringer j’ai composé une chanson. Jérôme Diamant-Berger m’a filmée en train d’improviser sur un film muet de son grand-père Henri Diamant- Berger : Clémenceau. Mais quelles que soient les collaborations, je reste toujours moi-même. Je ne sais composer que du Béatrice Thiriet. Je trouve ma place dans les films et auprès des cinéastes…Ou pas !!!

Quelle est la place des femmes compositrices dans l’histoire de la musique, et dans les filières musicales actuelles ?
Le silence autour des femmes compositrices dans l’histoire de la musique est criant. J’ai tenté de les sortir de l’ombre avec Radio Classique en initiant sur cette antenne une série spéciale « Femmes de musique ». J’ai ainsi programmé quatre émissions dont une soirée entièrement consacrée à des musiques de femmes, du chant Grégorien, de Hildegarde von Bingen, compositrice du XIIe siècle, à nos jours. L’audimat a grimpé... Pour promouvoir l’émission, je me souviens avoir cherché sur internet des visages de compositrices. J’avais alors réalisé un collage, et en bas à droite, j’avais mis mon visage... J’avais ainsi reconstruit mon « matrimoine » musical... J’avais trouvé mes aïeules, mes grands-mères, mères et sœurs de musique. Je me suis délectée à connaître leur histoire... Celle d’Hélène de Montgeroult qui avait défendu sa tête devant le tribunal révolutionnaire en improvisant sur la Marseillaise, et qui a ensuite été nommée professeure au Conservatoire de Paris par le Comité de Salut public. Celle d’Alma Mahler à qui son mari, le compositeur Gustav Mahler, défendit d’écrire de la musique et le fit écrire sur leur contrat de mariage.
Aujourd’hui, il y a 8% de femmes compositrices en France. Les chiffres sont les mêmes en Europe et dans le monde. Seulement 1% de musiques de femmes sont jouées dans les salles de concerts de musique savante. Les femmes productrices éditrices de musique sont rares. Et Christina Scheppelmann a été la seule femme auditionnée pour le poste de Direction de l’Opéra national de Paris à pourvoir à l’été 2021, mais elle n’est plus candidate et pour cause : elle vient d’accepter la direction de l’Opéra de Seattle. Ces chiffres sont affligeants ; les avoir est cependant une clé pour avancer. Cela a été un électrochoc de lire le rapport de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) intitulé Où sont les femmes dans la culture ?. J’ai été élue au Conseil de surveillance de la SACEM, et nommée au Comité d’éthique. Je dirige l’UCMF. C’est exceptionnel, révolutionnaire !!!

Vous vous êtes engagée en faveur de la défense du droit d’auteur, en quoi est-ce important pour les artistes ?
L’Europe vient de sauver les artistes et le droit d’auteur. Les eurodéputés ont voté en faveur d’un texte fondamental qui oblige les GAFAM* à assumer leur rôle de diffuseur et à respecter les droits voisins**. Il était essentiel de protéger la rémunération et le droit moral des artistes sur internet. Ce texte va remettre l’auteur au centre de l’industrie culturelle et numérique. C’est notre avenir qui en dépend. J’ai donc milité avec l’UCMF, avec la SACEM, puis avec toutes les organisations professionnelles, les syndicats français et européens. Et on a gagné cette bataille, ça fait du bien.

Quelle est votre actualité et quels sont vos projets à venir ?
En ce moment Hop’Eur’hop un flash mob qu’on a imaginé avec la chorégraphe Karine Saporta et Jatacha Ficarelli, Directrice de la Maison de l’Europe Strasbourg-Alsace, sillonne les capitales européennes. France Télévisions va diffuser le 23 juin un téléfilm de Marion Laine : Ce soir-là avec Sandrine Bonnaire et Simon Abkarian, dont j’ai composé la musique. Et je travaille actuellement avec Marion sur son prochain long métrage Une autre que moi. Je finalise l’écriture de « Voceru », une pièce pour voix de femmes et orchestre. J’ai également participé à l’écriture du livre qui vient de sortir sur le réalisateur Jean Grémillon : Jean Grémillon et les quatre Éléments publié aux éditions du Septentrion. Et puis il y a bien sûr mes engagements dans les organismes professionnels, ma présence dans les colloques, les festivals, pour défendre et promouvoir la musique en participant à des tables rondes, à des jurys, et en donnant des Classes de Maître !

*GAFAM est l’acronyme des géants du Web - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - qui sont les cinq grandes firmes américaines (fondées entre le dernier quart du XX e siècle et le début du XXI e siècle).

**Au-delà des droits d’auteurs, il existe les droits voisins, droits rémunérant les artistes interprètes, producteurs de musique, producteurs de vidéos et organismes de radiodiffusion et télédiffusion. En clair, chaque diffusion d’une oeuvre à la TV, Radio, Cinéma ou encore sur Internet…donne droit à une rémunération des auteurs, artistes et producteurs de l’œuvre diffusée.